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REVUE DES DEUX MONDES.

Les chambres ont dans cette quinzaine fixé toute leur attention sur les affaires du pays.

La chambre des députés a réglé tellement quellement les intérêts opposés des trois sucres, le sucre indigène, le sucre colonial et le sucre étranger. Si elle n’a pas fait mieux, c’est que désormais il était impossible de bien faire. Des erreurs et des préjugés malheureusement trop répandus avaient laissé à une industrie artificielle le temps de croître, de s’étendre, de se créer des partisans, une clientelle. Le gouvernement jouait depuis quelques années un singulier rôle aux yeux de tous ceux qui avaient quelques connaissances d’économie politique. Il frappait d’un droit fort élevé une matière d’ailleurs éminemment imposable, et cela non plus pour remplir ses caisses, mais pour forcer l’argent des consommateurs à entrer dans les poches d’un certain nombre de propriétaires.

Le gouvernement ne l’ignorait pas. Il faut avoir le courage de le dire : toutes les administrations qui se sont succédées ont envisagé les questions économiques d’un point de vue assez élevé, assez étendu. Le gouvernement est moins dominé que la chambre par les intérêts de localité, par les préjugés de clochers. Le gouvernement avait plus d’une fois essayé sans succès d’arrêter les empiètemens des planteurs de betteraves sur le trésor public. Il avait échoué ; grace à l’intérêt tout particulier, tout local des sucreries indigènes, nos colonies se mouraient, nos navires ne trouvaient plus de fret, notre production manquait de débouchés, notre marine de matelots de long cours, et le trésor s’appauvrissait de plus en plus. Il a fallu que le désordre devînt criant, scandaleux, pour qu’une mesure sérieuse, fût enfin adoptée, pour qu’un intérêt local ne triomphât pas de l’évidence.

Quelle brèche n’aurait-on pas ouverte en allouant aux fabricans de sucre indigène une indemnité ? Une indemnité parce qu’ils ont jugé à propos de se livrer à une industrie factice, à une industrie qui n’aurait jamais existé sans l’impôt ! une indemnité parce que l’état leur a permis pendant trop long-temps de faire leurs affaires aux dépens du trésor public !

Le gouvernement a adopté le seul expédient qui fût aujourd’hui praticable. Ce n’est pas une solution définitive de la question ; mais du moins les inconvéniens les plus graves de l’état de choses existant seront écartés pour quelque temps, jusqu’à ce que la lutte des deux sucres, devenant derechef inégale, replace les combattans dans une position intolérable et violente. Alors, si c’est le sucre indigène qui se meurt, il faudra bien dire aux planteurs de betterave de semer du blé, du colza, de la luzerne, de la garance, et de ne planter des racines que pour les bestiaux ; si c’est l’existence des colonies qui est menacée, il faudra affranchir leur commerce, ou, mieux encore peut-être, trancher la question en donnant à l’état le monopole du sucre, à condition qu’il fera entrer dans son débit 80 millions de kilog. de sucre colonial, 40 millions de sucre indigène, et puis, si la consommation excède 120 millions de kilogrammes, il pourra, pour le reste, s’approvisionner où bon lui semblera. On prétend que ce monopole serait entouré d’énormes difficultés d’exécution : c’est