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gustin a trouvé la paix dans ce qui épouvantait d’autres ames. Il est tranquille parce qu’il a nié la liberté de l’homme. Il se complaît dans les partis extrêmes ; il réprouve la nature humaine, comme il a condamné la tradition antique, et il se prosterne devant la face d’un Dieu omnipotent et terrible qu’il a trouvé pour lui miséricordieux, puisqu’il a été touché de sa grace, puisqu’il s’est converti.

Voilà le vrai christianisme. Saint Paul et saint Augustin l’ont prêché aux hommes dans toute sa pureté, dans toute sa force. Mais cet absolutisme divin ne pouvait passer dans la pratique commune. L’église ne put, comme l’apôtre et l’ancien professeur de Tagaste, anathématiser la liberté humaine ; elle prit des tempéramens dont on donnera une assez juste idée en disant que l’église catholique est semi-pélagienne. De son côté, l’école au moyen-âge, tout en révérant saint Augustin, se mit à lui associer Aristote : on ne niait pas la grace, mais, à côté d’elle, on faisait reparaître la science humaine. Saint Thomas fut surtout l’artisan de cette alliance, et le grand bœuf de Sicile laboura dans les deux sillons. Depuis le XIIIe siècle jusqu’à Luther, Aristote ou plutôt la scholastique envahit la théologie, qui à force de raffinemens, de subtilités et de sophismes, devint une inextricable confusion également funeste à la science et à la foi.

Avec le docteur Martin, le christianisme se réveilla. L’épître de saint Paul aux Romains toucha le cœur du professeur de Wittemberg, et, comme il y trouva ces mots : « Le juste vivra par la foi, il se sentit, par cette parole, illuminé d’une révélation intérieure[1]. À l’exemple de l’apôtre et du grand évêque d’Afrique, il comprit et enseigna que l’homme naissait dans le péché et dans une corruption radicale, dont ses propres œuvres sont impuissantes à le délivrer ; l’homme ne peut être tiré de l’abîme que par la main de Dieu. Or, la grace est donnée gratuitement aux plus indignes, aux moins méritans, elle n’est pas la récompense de l’étude et des œuvres. Luther ne craint pas d’écrire à Mélanchton : « Sois pécheur et pèche fortement, mais aie encore plus forte confiance, et réjouis-toi en Christ qui est vainqueur du péché, de la mort et du monde. Il faut pécher tant que nous sommes ici, cette vie n’est point le séjour de la justice ; non, nous attendons, comme dit Pierre, les cieux nouveaux et la terre nouvelle, où la justice habite[2]. » De nos jours, un des plus profonds penseurs de

  1. Tout ce qui tient aux dispositions intérieures de Luther est raconté avec la vérité la plus touchante dans l’Histoire de la Réformation, par M. Merle d’Aubigné.
  2. Mémoires de Luther, traduits par M. Michelet, tom. III, pag. 165.