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sur-le-champ le lecteur mieux que ne l’auraient pu faire de longues explications.

Quand il s’est ainsi établi dans le sanctuaire même de Port-Royal, M. Sainte-Beuve sur-le-champ aborde l’histoire littéraire. Il n’a pas voulu attendre que la succession des temps amenât sous sa plume les noms de Pascal et de Racine pour entrer dans les questions de l’art, et pour s’en servir comme d’un brillant contraste avec les choses religieuses. Au nom de la grace, il s’empare de Polyeucte, il fait suivre l’appréciation du chef-d’œuvre de Corneille de l’analyse du Saint-Genest de Rotrou : c’est le commencement de l’ingénieux procédé par lequel il promènera tour à tour le lecteur de la théologie à la littérature. Polyeucte et Saint-Genest, dit M. Sainte-Beuve, c’est une aile de notre sujet qui attend d’avance pour y correspondre Esther et Athalie. Peut-être notre auteur a-t-il cherché à établir une connexion trop intime entre la scène du guichet dont Port-Royal venait d’être le théâtre, et la conception de Corneille ; mais il est évident que lorsque l’auteur de Cinna passa du siècle d’Auguste à l’histoire du martyre de Mélitène, il obéissait à une provocation sourde que lui adressaient les ames de ses contemporains. Et quel plus beau champ pour un poète ! peindre les effets de la grace, mettre au théâtre ces métamorphoses éclatantes et soudaines qui s’accomplissent sous la main de Dieu ! Corneille n’a pas usé ses jours à méditer saint Paul, à pâlir sur saint Augustin ; mais comme il est un vrai poète, comme le souffle divin a passé sur son front, il comprend d’un coup les mystères de l’humaine nature ; c’est aussi, à un autre point de vue, un miracle de la grace. Dix ans plus tard, en 1650, Corneille placera dans son Œdipe une allusion directe aux débats du jansénisme, et il mettra ces vers dans la bouche de Thésée :

Quoi ! la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices,
Et Delphes, malgré nous, conduit nos actions
Au plus bizarre effet de ses prédictions !
L’ame est donc tout esclave ; une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l’entraîne ;
Et nous ne recevons ni crainte ni désir
De cette liberté qui n’a rien à choisir ;
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite, et vicieux sans crime !
Qu’on massacre les rois, qu’on brise les autels,