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PORT-ROYAL.

C’est la faute des dieux, et non pas des mortels ;
De toute la vertu sur la terre épandue
Tout le prix à ces dieux, toute la gloire est due ;
Ils agissent en nous quand nous pensons agir ;
Alors qu’on délibère, on ne fait qu’obéir ;
Et notre volonté n’aime, hait, cherche, évite,
Que suivant que d’en haut leur bras la précipite.

On peut se représenter le plaisir qu’éprouvait le public du XVIIe siècle à retrouver dans un sujet antique la controverse contemporaine, la grace à propos de la fatalité, et Jansénius dans la fable d’Œdipe.

L’auteur des Critiques et Portraits excelle à mettre de l’imagination dans l’art de disposer la réalité et de la produire avec une économie lumineuse. Avant de nous montrer la figure sévère de M. de Saint-Cyran, de ce grand directeur de Port-Royal, M. Sainte-Beuve a voulu nous offrir une dévotion plus aimable et plus tendre. Saint François de Sales sert de transition à l’austère théologie de l’ami de Jansénius. D’ailleurs l’évêque de Genève est écrivain, écrivain plus qu’il ne croit, ainsi que le remarque notre auteur ; à ce titre, l’historien de Port-Royal s’y arrête, et trouve l’avantage, comme il le dit, de tenir avant Pascal bien des élémens et des préliminaires de la belle prose française, jusqu’au moment juste où elle s’accomplit. Le second volume contiendra une longue excursion sur Balzac.

Saint François de Sales appartient tout-à-fait à cette classe de chrétiens doux et bons qui ne veulent ni épouvanter les hommes, ni les damner, mais qui se plaisent à les attendrir et à les consoler. M. Sainte-Beuve a bien caractérisé cette nature insinuante et affectueuse, cette imagination riante et féconde qui mène à l’amour de Dieu par des sentiers faciles et fleuris. Il a cité de charmans passages de ce pieux écrivain ; et comme ces citations nous avaient mis en goût de saint François de Sales, nous avons lu l’Introduction à la vie dévote. Cette lecture nous permet d’ajouter aux éloges de M. Sainte-Beuve cette remarque, qu’une grande habileté dirige l’abandon apparent et l’allure aisée de saint François de Sales. On peut, en le parcourant, pressentir l’autorité d’un pareil livre sur le cœur des femmes et l’esprit des enfans. Tout y est mis en figures, en images ; les cieux sont toujours ouverts, le Christ est toujours présent ; il y a abondance de métaphores, d’apostrophes amicales, de tendres exclamations. Ici la religion est plus puissante que la philosophie ; elle se fait toute à tous, elle s’abaisse avec les humbles, elle trouve les moyens de persuader les