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Polichinelle a pris naissance le même jour que la comédie dont il est un des inventeurs ; les pièces satiriques et quelque peu licencieuses dans lesquelles il figura d’abord, s’appelaient atellanes, de la ville d’Atella son pays. Les Grecs, en empruntant ce genre de comédie aux Italiens, lui conservèrent ce nom ; les atellanes, c’est la comedia dell’arte d’aujourd’hui. Le dialogue de ces pièces n’était pas écrit ; les acteurs jouaient leur rôle d’inspiration sur le scenario ou canevas dont ils étaient convenus, à peu près comme aujourd’hui on joue chez nous des proverbes ou des charades en action. Plus tard, les atellanes jouirent d’une grande vogue dans toute l’Italie ; la jeunesse romaine se passionna surtout pour ce genre de comédies qu’elle confisqua en quelque sorte au profit de son plaisir, s’en réservant tous les rôles. Il fut un temps où les acteurs de profession n’eurent plus le droit de jouer dans ces pièces ; les acteurs des atellanes durent être citoyens romains, jouissant de toutes les prérogatives attachées à ce titre. Ces acteurs jouaient en public, mais le peuple n’avait pas le droit de les punir, ni même de les faire démasquer. Quand les mœurs se corrompirent, la licence de ces spectacles fut poussée au point que, plus d’une fois, le sénat fut obligé d’en suspendre la représentation. Polichinelle Maccus était le boute-en-train de ces folies dans lesquelles il jouait le rôle d’un campagnard spirituellement grossier et naïvement méchant.

Si la tournure et les dehors de Polichinelle ont peu changé, son caractère et ses habitudes sont toujours aussi à peu près les mêmes ; il ne se modifie qu’en apparence, et encore il ne modifie que ses actions et son langage, et garde presque toujours le même costume ; il s’occupe des personnages du jour, les applaudit ou les baffoue, les méprise ou les craint ; mais tout en se laissant aller au courant du monde, en ayant l’air de hurler avec les loups, au fond sa philosophie est immuable. Cette philosophie, c’est celle des gens qui ont beaucoup vu et beaucoup vécu : le plus parfait égoïsme ; son cœur est fait de la même matière que ses sabots, c’est-à-dire du bois le plus dur ; d’ailleurs, il est si profondément enseveli sous ses deux énormes gibbosités, que, fût-il d’une matière plus malléable, il ne courrait jamais grand risque d’être sérieusement entamé. Comme tous les égoïstes, Pulcinella a une morale des plus accommodantes pourvu que les ricochets ne l’atteignent pas, qu’il y trouve son profit, il fait le mal sans scrupule, et se soucie de la vie d’un homme comme de rien. Pulcinella a cependant l’air bonhomme, il a des manières toutes rondes, une constante belle humeur, un langage