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DE LA POPULARITÉ DE NAPOLÉON.

quer au pouvoir lorsqu’il s’appuie sur un énergique sentiment national, et qu’il se borne à l’accomplissement d’un pieux devoir ; car si, selon la parole d’un orateur illustre, l’instant n’est peut-être pas venu de juger Napoléon, il est temps du moins de donner à ses restes une sépulture définitive. Ce tombeau qui, placé pour l’éternité aux limites des deux mondes, tel que le géant du cap des Tempêtes, fût apparu à la postérité comme le plus magnifique des symboles, offrait par la perspective de son déplacement, tôt ou tard inévitable, je ne sais quoi de provisoire et d’impie qu’il était enfin temps d’effacer. La politique, dans ses calculs et dans sa prudence, peut très bien ajourner une amnistie pour les vivans, mais elle n’a pas le droit d’ajourner la sépulture des morts.

Ce n’est pas qu’on ne puisse, qu’on ne doive peut-être s’attendre à des efforts qui pourraient ne pas reculer devant l’idée de profaner ces cendres. Ce serait là, il faut en convenir, une belle occasion de reprendre la redingote grise et le petit chapeau pour recommencer Strasbourg ; les cris, à la colonne, donneraient le signal du mouvement, et un million d’hommes inaugureraient un tombeau populaire, en en faisant la base d’un nouveau trône.

Il faut vraiment vivre en un siècle où l’hypocrisie politique la plus déhontée masque le vide de toutes les croyances, le néant de toutes les affections, pour badigeonner impudemment d’une couleur impérialiste des tentatives où s’engagent et des prétendans sans foi sérieuse dans leur titre, et des conjurés sans respect pour les mannequins politiques qu’ils dépouilleraient bientôt de leur couronne de théâtre. L’avenir qui se déroule devant la France est incertain sans aucun doute, peut-être autorise-t-il bien des conjectures et bien des rêves ; mais entre tous je n’en sais pas de plus humiliant pour une grande nation, de plus compromettant pour la civilisation du monde, que la résurrection de l’empire sans l’empereur, que la légitimité d’hommes inconnus proclamée par des Catilina de corps-de-garde ou de carrefour. Si l’intelligence humaine est menacée par la force brutale ; si la démagogie doit dominer un jour les sociétés modernes, qu’elle se montre du moins dans ses attributs propres, l’œil enflammé et les bras découverts, et que le souvenir de Napoléon ne soit pas réservé à ce dernier outrage, de servir de passeport à la barbarie.

L’idée d’une monarchie napoléonienne fonctionnant régulièrement après la chute de celle de 1830, est un non-sens politique si évident, qu’un esprit sérieux n’a pas même à la discuter. Pense-t-on que l’Europe, l’œil ouvert sur le passé, et prévoyante pour l’avenir, consentît à servir de marchepied à ce trône militaire, qu’une longue série de