Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/873

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
869
DE LA POPULARITÉ DE NAPOLÉON.

mais vigilante, elle protége l’Europe et l’Asie contre la double ambition qui les menace ; qu’elle apparaisse enfin dans le monde politique comme la vivante expression de la justice et du droit. Alors elle n’aura rien à regretter des gloires de l’empire, rien à craindre de ses souvenirs, et le pouvoir cessera de chercher à travers tant de tâtonnemens et d’obscurités un but pour ses efforts, un point d’appui pour ses épreuves.

Efforts laborieux, épreuves multipliées, tâtonnemens et obscurités inévitables ! Lorsqu’une société s’est reposée sur le bras d’un grand homme, en devenant un instrument entre ses mains, si cet homme disparaît soudain de la scène du monde, il se fait alors un vide immense qu’il faut parfois plusieurs générations pour combler. Accoutumés à s’abdiquer eux-mêmes en face de ce substitut de la Providence, ne discutant pas plus devant sa force que devant la foudre ou la tempête, les peuples perdent pour un temps quelque peu de la spontanéité de leur pensée et de la liberté de leur action, et toutes choses se produisent dans une confusion inévitable. Ainsi nous poursuivons depuis un quart de siècle le développement de certains principes, la conciliation de certaines idées, destinées à trouver place dans l’organisation nouvelle que l’empire eut mission de préparer pour l’Europe ; mais la forme définitive de ces idées est loin d’être encore nettement dessinée, et le monde ne pressent pas plus clairement le but vers lequel il se dirige, qu’aux temps orageux qui marquèrent la chute du vaste édifice élevé par Charlemagne. Puisse cependant la France garder religieusement sa foi en elle-même ! puisse son gouvernement comprendre que la première condition de durée qui lui soit imposée par la Providence, c’est d’accepter dans toute sa plénitude une glorieuse initiative ! La France n’abdiquera les souvenirs de l’empire que sous condition de rester grande aux yeux du monde comme aux siens. Cette condition remplie dans la mesure que comporte l’esprit de nos libres et pacifiques institutions, laissez faire les ridicules parodistes et les apologistes boursouflés ; le pays sifflera les uns et méprisera les autres. Il verra combien est rapide la pente par laquelle la démagogie glisse dans la servitude, et il en respectera davantage cet ordre constitutionnel dont le mécanisme difficile nourrit et entretient, il est trop vrai, bien des misères, mais qui nous épargne du moins aux yeux du monde cet éclatant et dernier scandale de répudier aux pieds du despotisme les principes au nom desquels nous avons remué l’Europe.


L. de Carné