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REVUE. — CHRONIQUE.

n’y songe pas. Un Hamlet de Rossini, à la bonne heure ; de Meyerbeer, encore. Toute autre tentative échouerait infailliblement. Qu’on se souvienne du Macbeth de M. Chelard ; ce sont là des exemples qu’il n’est pas besoin de renouveler, un seul suffit.

L’Opéra va suspendre ses représentations pendant un mois. On profitera du congé de Duprez et de Mme Dorus pour restaurer la salle et donner à ses murs enfumés un air de fraîcheur et d’élégance que le voisinage de la salle Favart rend aujourd’hui indispensable ; puis on ouvrira par le Diable amoureux, un ballet nouveau dont on dit merveilles. C’est décidément Mlle Noblet qui sera chargée du rôle destiné d’abord à Mlle Elssler et confié depuis à Mlle Grahn, qu’une maladie du genou retient loin de la scène. Triste chose, quand le mal prend les cantatrices à la gorge et les danseuses à la jambe ! On ne parle pas encore de l’opéra qui doit venir après ; cependant il n’y a pas à hésiter. Dans des circonstances aussi graves, il faut absolument une œuvre de maître, une œuvre de fonds, qui tienne le répertoire avec honneur, et nous ne voyons guère que M. Meyerbeer qui puisse venir en aide à l’administration. Reste à savoir si M. Meyerbeer voudra consentir à livrer son opéra. La représentation au bénéfice de Mlle Falcon, cette triste soirée qui brisa tant d’illusions et d’espérances, est venue déranger tous les plans du maître, qui, dans la confiance où il était du rétablissement de la jeune cantatrice, disposait déjà pour elle son rôle nouveau. Du reste, M. Meyerbeer arrive ; la nouvelle des changemens survenus dans l’administration a été le surprendre à Berlin, et sans tarder un instant, il s’est mis en route. Il vient étudier son terrain, observer toute chose, se rendre compte du présent et de l’avenir ; et, s’il ne voit pas là quelque cantatrice à la hauteur de sa musique, quelque tragédienne jeune et vaillante, Pauline Garcia, par exemple, soyez sûrs qu’il vous échappera sans rien dire, et partira un beau matin pour aller prendre les eaux en Bohême ou monter les Huguenots dans quelque duché.


Le succès que les Huguenots viennent d’obtenir dans les capitales des états de Brunswick et de Hanovre mérite qu’on en parle. Le duc de Brunswick avait écrit à M. Meyerbeer pour l’inviter à venir diriger la mise en scène de son œuvre, et le maître dut se rendre aux gracieuses instances du royal dilettante. Dès son arrivée, M. Meyerbeer trouva toutes choses en train ; les dispositions matérielles avaient été prises d’avance, seulement on ne s’était pas encore occupé de la musique, de crainte d’entrer dans de fausses voies, et de contracter sur de simples indications des habitudes que le maître désapprouverait à sa venue. La présence de M. Meyerbeer électrisa tout le monde, et l’on se mit au travail avec un tel enthousiasme, qu’en vingt jours, ni plus ni moins, la partition des Huguenots se produisit sur la scène avec tous ses effets gigantesques, tout son appareil d’orchestre et de chœurs. Quand la susceptibilité minutieuse de M. Meyerbeer à l’endroit de l’exécution ne serait point là pour attester le fait, nous n’aurions pas de peine à croire à l’heureuse issue de l’entreprise, malgré la promptitude avec laquelle il semble qu’on l’a