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grace à Robert-le-Diable, à Nourrit, à Mlle Falcon, à Mlle Taglioni ; il pouvait tout aussi bien perdre, et de pareils élémens ne se rencontrent pas tous les jours. On parle de reprise, et pour commencer on cite Fernand Cortez. À merveille ; mais pourquoi cette partition de M. Spontini plutôt que toute autre ? Fernand Cortez, voilà un choix qu’on aura peine à s’expliquer. Si c’est une concession que le théâtre prétend faire aux amis de l’art, ou, pour mieux dire, aux amis de cet art pompeux et faussement sublime, nous craignons que l’exécution ne réponde point à ses vues. On connaît M. Massol dans Cortez, et chacun sait que penser de ces éclats de voix que le chanteur méridional prodigue avec une si extraordinaire intempérance. Quelque bruit qu’on ait voulu faire de la voix de M. Massol, nous ne pouvons nous empêcher de dire qu’il est venu au monde au moins un siècle trop tard. Le style de M. Massol aurait pu être apprécié au temps où florissait Joliette ; mais le moyen d’admirer aujourd’hui cet organe sonore et vibrant, dont rien ne modère l’émission, cette voix fruste et sans méthode ? Quant au rôle d’Amazilli, le public se souvient de Mme Damoreau, et nous doutons qu’il y goûte fort les points d’orgue de Mme Stoltz. D’autre part, si c’est une spéculation, on se trompe ; cette musique fanfaronne et gonflée de vent, qui chante un peu comme déclament les matamores de la comédie espagnole, cette musique ne saurait plaire aujourd’hui. Fernand Contez est un opéra un peu dans le genre des tragédies de l’empire ; or, si l’on s’avisait de remettre à la scène le Sylla de M. Jouy ou l’Hector de Luce de Lancival, l’enthousiasme ne serait pas bien grand au Théâtre-Français. Du reste, M. Spontini l’a senti tout le premier, lui qui, du fond de l’Allemagne, envoie des huissiers à l’administration de la rue Lepelletier pour empêcher qu’on ne joue sa pièce. Songez bien qu’il y a là plus qu’une question de mise en scène, et que, si le maître de chapelle de Berlin ne prévoyait que sa musique ennuiera tout le monde à Paris, il n’aurait certainement pas si vite pris la mouche, et se serait bien gardé de se mettre en frais de démarches et de protestations qui, pour offrir un côté ridicule, n’en sont pas moins très significatives. Il est aussi question d’arranger l’Hamlet de Shakespeare pour M. de Ruolz. À la bonne heure ! au moins M. de Ruolz trouvera à qui parler, et, si les idées manquent dans sa musique, on n’ira pas s’en prendre au poème. Quelle magnifique partition on ferait avec Hamlet, si l’on avait pour soi le génie et la puissance de Mozart, la mélancolie de Bellini, la fantaisie romantique de Weber ! Et certes, il ne faudrait rien moins pour suffire à tant d’imagination et de spectacle, de variété poétique et de mouvement. Quel chef-d’œuvre Mozart eût fait avec la scène de l’ombre et la scène des comédiens, lui qui a su écrire les deux finales de Don Juan ! Quelle douce chanson Bellini eût mise sur les lèvres pâles d’Ophélie cueillant ses doigts de mort sous le saule au bord des eaux ! Et le terrible refrain du fossoyeur, ne pensez-vous pas que Weber a mal fait de mourir sans le noter ? car lui seul en pouvait deviner la musique. C’est une œuvre de cette dimension, de cette importance, qu’on voudrait confier à la muse de l’auteur de Lara et de la Vendetta ! Allons donc ! mais on