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tique. Le clergé y exerce une domination vraiment absolue ; aveugles et passionnés eux-mêmes, les prêtres des montagnes mènent à leur gré une population aveugle et passionnée à qui ils persuadent ce qui leur plaît. Autant l’esprit républicain dominait dans le carlisme navarrais, autant l’esprit théocratique l’emportait dans le carlisme catalan. Composée en majorité de curés et de chanoines, la junte de Berga en était la plus fidèle expression.

On sait quelle violence inouie prend l’esprit de parti quand il a des prêtres pour principaux représentans. Le fanatisme de la junte de Berga avait donné à la guerre civile en Catalogne un caractère particulier de fureur. Cette junte était profondément divisée comme tout le parti carliste espagnol, et les deux grandes fractions qui la composaient, celle des nobles et celle des prêtres, se faisaient une rude guerre intestine ; mais la fraction la plus ardente tendait de plus en plus à la domination, et l’évènement de Bergara, en excitant toutes les haines de la faction, décida son triomphe. Or, il s’en fallait que le comte d’Espagne, malgré sa cruauté, fût à la hauteur des membres exaltés de cette fraction, à la tête desquels étaient le chanoine Torrebadella et le curé Ferrer.

Le comte d’Espagne, il ne faut pas l’oublier, avait été capitaine-général de la Catalogne sous Ferdinand VII. On sait que le gouvernement de ce prince, tout absolu qu’il était, n’avait pas encore satisfait le parti apostolique, qui, même du vivant de Ferdinand, avait ouvertement placé ses espérances sur la tête de son frère don Carlos. Des insurrections avaient eu lieu, précisément en Catalogne, en faveur de ce parti, et elles avaient été étouffées par le comte d’Espagne ; c’était le comte d’Espagne qui avait eu la plus grande part à l’exécution de Bessières ; c’était lui qui avait fait périr les promoteurs de la révolte de 1827, le médecin Pallas, le colonel Rafi Vidal, le chef principal Jep dels Estañs ; c’était lui encore qui avait envoyé, sans forme de procès, aux présides d’Afrique, un nombre considérable d’officiers insurgés.

Quand le comte d’Espagne prit ensuite le commandement de l’armée carliste, il trouva, au milieu de cette armée, les parens et les amis de ses victimes, et une partie de ceux mêmes qu’il avait persécutés du vivant de Ferdinand ; les officiers qu’il avait envoyés aux galères étaient revenus, et servaient sous ses ordres. Tout en obéissant aux ordres de leur roi, qui avait investi le comte de l’autorité, tous ces coryphées de la foi absolutiste conservaient contre lui une haine profonde et le désir secret de la vengeance. Ces sentimens