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BROUSSAIS.

tint bientôt une commission de chirurgien sur la frégate la Renommée. Il était en rade prêt à partir, lorsqu’on lui remit une lettre du maire de Saint-Malo qui commençait par ces emphatiques, mais effrayantes paroles : Frémis en recevant cette lettre. Elle lui annonçait en effet un affreux malheur. La demeure de ses vieux parens à Pleurtuit avait été envahie par les chouans. Son père avait vainement essayé de s’y défendre. Il y avait été égorgé ainsi que sa femme par les chouans, qui avaient ensuite mutilé leur corps et dévasté leur maison. En apprenant cette horrible nouvelle, Broussais fut saisi de la plus profonde douleur et de la plus violente indignation. Son émotion fut si forte, que lorsque, après quarante ans, cet ineffaçable souvenir se représentait à lui, on le voyait pâlir et trembler comme au jour de la catastrophe.

La cause de la révolution à laquelle on venait d’immoler ses parens était déjà celle de ses convictions, elle devint alors celle de son ressentiment filial. Il lui demeura fidèle toute sa vie. Il la servit à cette époque dans la guerre contre les Anglais. Tour à tour officier de santé de deuxième classe et chirurgien-major sur la corvette l’Hirondelle et le corsaire le Bougainville, il fit avec succès plusieurs campagnes de mer. Mais il ne pouvait pas rester toujours chirurgien de marine. Aussi, après quelques années, quitta-t-il son pays natal, où il s’était marié, pour aller compléter à Paris ses études médicales et y prendre le grade de docteur.

Il y arriva en 1799. C’était une brillante époque pour l’esprit scientifique en France. L’école de Bacon, de Locke et de Condillac gouvernait exclusivement les intelligences. L’analyse était plus que son instrument, elle était devenue en quelque sorte sa religion. Il en était résulté un fanatisme de décomposition qu’inspirait le désir de tout savoir, l’espérance de tout refaire, et qui, accumulant des ruines dans l’ordre moral, avait créé des sciences dans l’ordre physique. Les merveilleux progrès de l’histoire naturelle, de la chimie, de la géologie, des hautes mathématiques, étaient son œuvre. La médecine avait participé à ces progrès. L’école de Paris, jusque-là circonspecte dans sa marche, un peu routinière dans ses idées, et n’ayant produit aucun des génies inventifs et des grands théoriciens qui, depuis trois siècles, avaient opéré des révolutions dans la médecine, prenait un essor inconnu. Elle était à son tour illustrée par de mémorables travaux et des hommes supérieurs. Chaussier, l’un de ses réorganisateurs, publiait ses Tables physiologiques ; Pinel, dans sa célèbre Nosographie philosophique, promulguait la charte de la médecine française, qui