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devait être observée jusqu’à la réforme de M. Broussais ; Cabanis, écrivain élégant et disciple un peu outré de Condillac, appliquait le système de son maître aux rapports du physique et du moral de l’homme, et il exposait, dans les curieux mémoires lus sur cet important sujet à votre classe même, une sorte de psychologie matérielle ; Bichat étonnait le monde savant en lui donnant coup sur coup son Traité des Membranes, ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort, son Anatomie générale appliquée à la Physiologie et à la Médecine, admirables ouvrages que cet immortel jeune homme, plein d’ardeur et de génie, publiait en quelques années, pressé de découvrir et de produire, comme s’il eût pressenti qu’à l’âge de trente-un ans il serait enlevé à la science. Tels furent les maîtres de Broussais.

Il devint l’ami de Bichat, dont les travaux exercèrent plus tard une influence décisive sur ses propres idées, et il adopta, non sans ardeur, les doctrines de Pinel, qui régnait alors souverainement en médecine. Après quatre ans de fortes études, il fut reçu docteur. Il prit pour sujet de sa thèse la fièvre hectique. Comme il ne pouvait rien être faiblement, il se montra imitateur prononcé de Pinel. Dans sa Nosographie philosophique, Pinel, fidèle à la méthode des naturalistes, avait classé les maladies par genres, espèces, variétés, comme des animaux ou des plantes, bien plus d’après leurs symptômes que d’après leur nature. Tout en cherchant à localiser les fièvres, ainsi que le démontrent les dénominations mêmes qu’il leur a données, il admettait pourtant, à l’exemple de la plupart des grands médecins qui l’avaient devancé, des troubles généraux de l’économie vivante, qu’il considérait comme des fièvres primitives ou essentielles. Ces fièvres étaient au nombre de six dans la classification de Pinel. M. Broussais, qui plus tard n’en admit aucune, proposa alors d’y en ajouter une septième, la fièvre hectique, qu’il attribua à un désordre d’action dans les divers appareils, et non à un vice ou à une décomposition des organes.

Ce qui mérite d’être remarqué dans ce premier ouvrage de M. Broussais, quand on le compare à ceux qu’il publia ensuite, ce n’est pas la contradiction des doctrines, mais l’identité de l’homme avec lui même. Il ne faut pas y voir les maladies essentielles soutenues dans leur réalité et augmentées dans leur nombre par celui-là même qui se prononcera exclusivement plus tard pour les maladies locales ; il faut y apercevoir déjà l’esprit pénétrant et hardi qui a besoin d’inventer tout en imitant et de généraliser tout en ignorant. Le sujet même qu’il a choisi en se demandant quelle est cette fièvre mysté-