Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
REVUE DES DEUX MONDES.

tait l’originalité de ses opinions dans le choix qu’elle savait en faire. Elle puisait ses croyances philosophiques partout où le travail des siècles et la vérification du sens commun lui en désignaient d’éprouvées. M. Broussais s’éleva contre elle avec toute la véhémence de son talent. Il attaqua ses chefs, qui attiraient autour d’eux la jeunesse par la beauté de leur parole et le cosmopolitisme même de leur système, les peignit se retirant dans leur moi pour connaître le monde, se fermant les yeux pour observer, donnant les rêves de leur pensée pour les lois des choses, méprisant leurs devanciers, inintelligibles, intolérans, superbes. Il leur reprocha de mettre inutilement une ame dans le cerveau, comme on placerait, c’est son expression, un joueur de clavecin à son instrument, et de créer une idolâtrie philosophique en relevant, écrivait-il avec son fier coloris, le panthéon de l’ontologie, devant lequel il ne fléchirait pas le genou.

Il se présenta comme le restaurateur de l’école expérimentale et analytique de Baron, de Locke, de Condillac, de Tracy, et comme le continuateur des travaux de Cabanis. Engagé dans ces voies, il s’y avança plus loin que tout le monde. À ses yeux, l’homme physique est l’homme tout entier. M. Broussais ne reconnaît pas en lui un principe spirituel distinct de l’élément matériel. C’est par ses nerfs qu’il sent, c’est dans ses viscères que se forment ses instincts et ses passions, c’est dans son cerveau que s’élabore sa pensée, c’est dans son organisme que réside sa personnalité. Mais ces appareils matériels ne sont pas seulement le siége de ces phénomènes, ils en sont la cause. Ainsi la sensibilité est un produit nerveux, la passion est un acte viscéral, l’intelligence est une sécrétion cérébrale, et le moi est une propriété générale de la matière vivante. Voici comment M. Broussais fut conduit à son système.

Observant les faits intellectuels et moraux dans leur manifestation extérieure, et n’allant point au-delà de ce qu’il apercevait, il crut que leur mode de production indiquait leur nature même, et, les trouvant associés à la matière, il pensa qu’ils étaient identiques avec elle. Ce qui le fortifia surtout dans cette opinion, ce fut de voir la sensibilité et l’intelligence naître, croître, décliner et disparaître avec le corps. Nulles dans l’embryon, ébauchées dans le foetus, débiles chez l’enfant, progressives chez l’adolescent, parvenues à toute leur force chez l’adulte, elles diminuent chez le vieillard, sont suspendues chez l’homme endormi, annulées dans l’idiot, perverties dans le fou, et s’anéantissent entièrement lorsqu’arrive le terme où sont usés les ressorts nerveux de la machine merveilleuse, mais péris-