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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/157

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POÈTES ÉPIQUES.

consenti à devenir le fils d’un ancien roi et à parcourir toutes les chances de la vie terrestre. Mais ce qui est manifeste dans le héros principal du poème, ne laisse pas d’être vrai à l’égard des autres personnages. Si vous les pressez et les poussez à bout, vous finissez toujours par reconnaître en eux quelque divinité ou quelque verbe fait homme, au degré le plus élevé comme au plus abaissé de l’échelle sociale. Chez ces rois qui règnent vingt mille ans, chez ces ascètes qui passent dans l’abstinence et la componction des siècles de siècles, il n’est pas difficile de soulever le masque et de retrouver l’Être suprême incarné dans le prêtre, le guerrier, le monarque. Mais si même vous voyez passer un mendiant porteur d’un parasol et d’une urne à demi brisée pour solliciter les aumônes des soudras, malgré cet abaissement, ne vous fiez pas trop à l’apparence ; sous la figure de ce mendiant est caché le dieu Siva, qui vient expier ainsi je ne sais quelle faute commise à l’origine de l’éternité. Le dieu étant ainsi caché sous chaque personnage, cette épopée mériterait bien mieux que celle de Dante le titre de Divine Comédie.

En même temps que les dieux sont cachés sous la figure des héros, ils ne laissent pas de se montrer dans les cieux. Ils se retirent dans leurs domaines particuliers, ou ils se rassemblent sur le sommet du mont Mérou. C’est sur cet olympe indien que se retrouvent, image anticipée de la Grèce et de l’Égypte, les ancêtres des divinités occidentales, Maya, la reine de l’illusion, couverte du voile qui s’étendra plus tard sur l’Isis du Nil ; Chrishna, le dieu du soleil entraîné par les chevaux que doit régir Apollon ; Siva, qui brandit le trident qu’il doit léguer à Neptune ; l’Aurore avec son char traîné par des perroquets ; la déesse de la terre, Prithivi, entourée des panthères qu’apprivoisera Cybèle ; et au-dessus d’eux tous, Brahma, qui, pour collier, porte à son cou la chaîne des êtres que recueillera Jupiter. Il y a loin de ces émanations de l’Himalaya aux formes de l’art de Phidias.

« Du feu du sacrifice surgit un être surnaturel, d’une splendeur incomparable, puissant, héroïque, marqué du signe des augures, couvert d’ornemens divins, égal en hauteur au sommet des montagnes, redoutable comme le tigre, aux épaules et aux flancs de lion, étincelant comme la flamme du soleil, les mains couvertes d’anneaux, le cou entouré d’un collier de vingt-sept perles, les dents semblables au roi des astres ; il tenait embrassé comme une épouse bien-aimée un large vase d’or, incrusté d’argent et rempli de la boisson ambroisienne des dieux. Il dit : Je suis une émanation de Brahma descendu sur la terre. Puis il devint invisible. En ce moment