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sorte de vernis moderne qui suffiraient seuls pour détruire l’ancienne harmonie de l’édifice et pour lui ôter cette physionomie austère et chrétienne qui le distinguait. Les cent trente-deux colonnes de marbre antique sont remplacées par autant de colonnes de granit de Lombardie. Cinquante ou soixante de ces colonnes sont déjà debout, entre autres les colonnes maîtresses à chapiteaux doriques de la nef centrale. Ces colonnes occupent, il est vrai, la place des belles colonnes de l’ancienne basilique, mais elles ne les remplacent pas. Le fût, d’un gris bleuâtre et poli de la veille, les chapiteaux en marbre blanc, d’un travail un peu sec, n’auront ni l’élégance, ni la légèreté, ni le fini des marbres antiques ; nous doutons même que leurs proportions soient parfaitement semblables, et pourtant chacune de ces colonnes coûte des sommes énormes. Les voûtes en plein cintre qu’elles supportent sont construites de grands blocs de marbre blanc, comme dans l’ancien édifice. Ces voûtes, courant de chapiteaux en chapiteaux, étaient une innovation dans les premiers temps du christianisme où cette basilique fut construite, et sans doute une innovation religieuse. L’arc remplaçait la ligne droite de l’entablement des temples grecs ; c’était un premier acheminement vers l’ogive. Lorsque l’on débattit devant le pape Léon XII le projet de reconstruction de la basilique, il fut question de remplacer ces arcs par un entablement fort simple, qui eût été moins dispendieux ; mais les architectes tinrent bon, et ils eurent raison.

Pourquoi n’ont-ils pas montré une égale fermeté lorsqu’on a résolu de recouvrir, par des plafonds ornés de rosaces et de dorures, les cinq nefs de la basilique ? Si l’on voulait absolument masquer la nudité des énormes poutres qui supportaient la toiture, et qui donnaient à l’ancien édifice quelque chose de si austère et de si religieusement sombre, pourquoi n’ont-ils pas insisté pour que ces plafonds fussent voûtés ? Ces lambris tout plats, ornés de rosaces et de caissons dorés, diminueront singulièrement la grandeur de l’édifice et lui donneront l’aspect coquet et mondain des églises des Jésuites et de Sainte-Marie-Majeure ; on peut déjà juger de cet effet par le plafond de la tribune, qui est achevé. Cette faute est capitale, un architecte de génie ne l’eût pas commise ; un architecte de génie n’eût pas, du reste, voulu copier un monument ; il en eût construit un autre d’après ses plans.

Il n’est pas moins vrai que cette église moitié ruine, moitié neuve, est aujourd’hui l’un des monumens les plus curieux de l’Italie. Comme on travaille ici de tradition, et que la partie technique de