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colonnes, en effet, sont données par un souverain[1], ces marbres par un autre. Ceux qui ne peuvent faire don de matériaux si précieux contribuent par des envois d’argent, de sorte que cet édifice, qui, achevé, représentera peut-être une valeur de près de trente millions, n’en aura pas coûté cinq au gouvernement romain, et ces cinq millions, il aura mis cinquante ans à les dépenser. Ajoutons encore qu’on ne trouve qu’à Rome des forçats qui sachent travailler le marbre, et des sculpteurs et des architectes qui veuillent bien employer ces forçats, et vivre en quelque sorte fraternellement avec eux. Remarquons enfin que par-delà les Alpes seulement on est encore assez artiste pour faire une splendide folie de ce genre, et préférer les plaisirs du goût au raisonnable et à l’utile.

En Italie, on est architecte par tradition, et c’est aussi d’après certaines règles traditionnelles qu’on y taille le marbre. Comparés aux chapiteaux des colonnes antiques, les chapiteaux des modernes colonnes de Saint-Paul-hors-des-Murs paraissent secs ; les arêtes en sont aigres et dures, et l’ensemble des ornemens manque de moelleux et de largeur. Comparés aux ouvrages de nos marbriers, ces chapiteaux seraient des chefs-d’œuvre, et l’exécution en paraîtrait savante et irréprochable. Plus heureux que les peintres qui paraissent avoir oublié jusqu’aux procédés matériels de l’art, et dont la touche est aussi pauvre et le coloris aussi terne que l’imagination est stérile et la conception misérable, les statuaires et les sculpteurs italiens ont du moins gardé la main ; ils modèlent le marbre comme d’autres la cire et l’argile.

Cette habileté pratique, cette adresse à tailler le marbre a trompé beaucoup d’ouvriers de talent qui, du moment qu’ils savaient copier une statue, se croyaient statuaires. Ces copistes, fussent-ils excellens, eussent-ils même égalé l’original, n’ont droit qu’à une place tout-à-fait secondaire. — Tout homme qui en suit un autre ne peut passer devant, disait Michel-Ange à Baccio Bandinelli, ce présomptueux copiste du Laocoon, qui se posait comme son rival.

Michel-Ange, esprit supérieur et caustique, s’amusa plus d’une fois des prétentions de ces habiles tailleurs de marbre. Un jour,

  1. Il n’est pas jusqu’à Méhérnet-Ali, pacha d’Égypte, qui n’ait voulu contribuer pour sa part à la réédification de la basilique chrétienne ; les dernières nouvelles de Rome nous apprennent que le pacha vient de faire présent au pape de quatre belles colonnes de marbre égyptien, destinées à l’un des autels de Saint-Paul-hors-des-Murs.