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n’aperçurent aucune montagne. On apprit par les indigènes que ce beau pays s’appelait Saymas, et qu’il s’étendait jusqu’à Cumana. Quatre peuples puissans et braves habitaient ce pays.

« Le troisième jour de mon nouveau voyage, je jetai l’ancre sur la rive gauche du fleuve, entre deux montagnes nommées Avami et Orio ; j’y restai jusqu’à minuit. Je passai alors devant une grande île ; Mauripano, d’où partit, vers ma flottille, un canot pour m’inviter à venir m’y reposer. Le cinquième jour, on se trouva dans la province d’Arromaja ; le sixième, dans le port Mosquito, où je restai assez long-temps pour m’approvisionner de nouveau. Un vieux cacique de cent dix ans (dit Raleigh), qui cependant pouvait faire encore dix milles par jour à pied, vint nous visiter ; il apporta un grand nombre de vivres et de rafraîchissemens ; j’eus avec lui une conversation très intéressante. »

Raleigh, qui semble avoir rempli jusqu’ici le rôle d’un narrateur fidèle, place dans la bouche de son cacique de cent dix ans les incroyables récits au moyen desquels il dupa son époque. Aux descriptions les plus vives des beautés naturelles de l’Orénoque et de ses bords, il joint l’éclat lointain des pierres précieuses, et des mines dont ces régions sont semées. « Là, dit-il, point d’hiver ; un sol sec et fertile ; du gibier et des oiseaux de toute espèce en abondance ; ces oiseaux remplissaient l’air de chants inconnus : c’était pour nous un véritable concert. Mon capitaine, envoyé à la recherche des mines, aperçut des veines d’or et d’argent ; mais, comme il n’avait que son épée pour instrument, il ne put détacher ces métaux pour les examiner en détail ; il en emporta cependant plusieurs morceaux, qu’il se réservait d’examiner plus tard. Un Espagnol de Caracas appela cette mine madre del oro (la mère de l’or). On pensera peut-être qu’une fausse et trompeuse illusion m’a joué ; mais pourquoi aurais-je entrepris un voyage aussi pénible, si je n’avais pas eu la conviction que, sur toute la terre, il n’y avait pas un pays plus riche en or que la Guyane ? Whiddon et Milechappe, notre chirurgien, rapportèrent plusieurs pierres qui ressemblaient beaucoup aux saphirs. Je montrai ces pierres à plusieurs habitans de l’Orénoque, qui m’ont assuré qu’il existait une montagne construite de ces pierres. »

Raleigh entre ensuite dans de grands détails sur les peuples voisins ; il se livre à toute la verve de son invention ; il parle d’indigènes trois fois aussi grands qu’un homme ordinaire, de cyclopes qui avaient les yeux sur l’épaule, la bouche sur la poitrine, et la chevelure au milieu du dos. Moyens d’exciter et d’attirer l’attention contemporaine