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soin les détails nombreux allégués par ces autorités si diverses, et que nous les rapprochions des circonstances, du temps, du caractère, de la position et des désirs de Raleigh, il ne sera pas difficile de parvenir à la connaissance de la vérité. De nombreux complots enveloppaient le trône de Jacques, les uns tramés par des catholiques obscurs, les autres par des agens espagnols, un enfin par des seigneurs mécontens. Raleigh, dont le caractère a plus d’un rapport avec celui du célèbre lord Shaftesbury, connut, de ces complots, deux seulement, celui que tramaient les Espagnols, et celui dont lord Cobham, son ami, avait pris la direction. Qu’il ait conspiré avec les Espagnols en faveur de l’Espagne, objet de sa haine constante, c’est ce que l’on ne peut admettre ; qu’il ait été instruit des projets de Cobham, lui-même l’avoue : « Je suis perdu, dit-il, pour avoir écouté un homme léger (I listened to a vain man.) » Malheureusement cet homme léger lui proposait une forte pension de l’Espagne, et le fait fut prouvé au procès. Sans confiance dans la capacité de Cobham, mais désirant, comme on ne peut en douter, la réussite des plans qui le délivreraient de Jacques Ier et de Cecil, il ne semble pas avoir trempé activement et personnellement dans le complot, mais s’être réservé un rôle plus habile, conseillé par sa ruse et par sa vengeance, celui d’instigateur et de moteur secret, attendant l’évènement pour recueillir plus tard les fruits d’une conspiration aux dangers de laquelle il échappait. Voilà ce qu’espérait le prudent Raleigh. Il se fiait si bien à sa ruse, qu’il se porta lui-même dénonciateur de Cobham, lorsque Cecil, averti de la conjuration, les fit arrêter l’un et l’autre. Cobham, furieux de cette dénonciation, rejeta aussitôt le poids de la conjuration sur Raleigh ; puis, se souvenant qu’il n’avait aucune preuve matérielle contre ce dernier, dont la participation avait été indirecte et oblique, il se rétracta lâchement, revint sur sa rétractation, la renouvela, l’anéantit, et finit, sur l’échafaud même, par déclarer Walter Raleigh son complice. On dirait que Cobham, d’une intelligence aussi bornée que confuse, guidé dans ces voies périlleuses par un génie plus fort et plus habile, ignorait lui-même s’il lui était permis d’accuser Raleigh, et si l’assentiment tacite de ce dernier, son instigation sourde et cachée, pouvaient être allégués comme preuves. C’était l’habitude de Raleigh de mener à son but ceux qui l’environnaient. « Il prétend, dit son ami Northumberland, dominer et faire mouvoir toutes les pensées et toutes les conduites. » Cette domination des pensées et des conduites, qui se représentait vivement au faible cerveau de Cobham, lui arrachant tour à tour des inculpations