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REVUE DES DEUX MONDES.

Il était né dans un temps qui fomentait l’ardeur vague de l’ambition, laissant tout espérer à la témérité, et enivrant de magnifiques promesses les ames violentes. Nous savons aujourd’hui, fils du XIXe siècle, ce qu’une époque peut contenir de désirs immodérés, d’espérances sans terme et de désirs insatiables. Raleigh désira être et fut tout ; plus d’une fois il atteignit le succès, et sa renommée incomplète demeura comme suspendue entre tous ces genres de gloire. On l’a vu tout commencer, ne rien accomplir ; de succès en succès n’aboutir qu’à des avortemens, et devoir son véritable triomphe à sa prison, lorsque cette ardeur fixée se concentra dans des pensées sévères, et valut à Raleigh la gloire littéraire, celle qui protége encore avec le plus de certitude et de magnificence une renommée équivoque.

À cette leçon curieuse rien ne manque, ni les incidens romanesques d’un drame lointain, ni les péripéties sanglantes ou fatales, ni les bigarrures de la comédie. Si magnanime de temps à autre que certains ne veulent pas croire à ses faiblesses, si dédaigneux de la vérité et de la morale que certains ne veulent pas croire à son héroïsme ; sans arrêt, sans repos, sans scrupule ; ame qui désire tout, ambition qui prétend à tout, générosité qui veut tout donner, avidité qui veut tout prendre, ardeur d’admiration qui embrasse mille espèces de grandeur ; enthousiasme qui ne s’arrête à rien, et qui cherche les objets de la convoitise la plus diverse ; intrigant, vénal, sans pitié ; puis sublime ; — devant une dépense si vaste de qualités annulées ou perdues, l’historien reste comme épouvanté. La vie de Raleigh ne serait-elle pas un enseignement énergique, digne de fixer l’attention des temps nouveaux ?


Philarète Chasles.