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C’est particulièrement sur les drames religieux qu’il devrait concentrer son attention, non pas qu’ils soient, malgré les incontestables beautés qu’offrent quelques-uns d’entre eux, les plus remarquables sous le rapport de l’art, mais parce qu’il n’en est pas de plus caractéristiques, de plus complètement originaux, parce que leur nature même rentre spécialement dans le point de vue où il faut se placer, comme nous le disions tout à l’heure, pour se rendre compte des véritables causes de la décadence de l’Espagne.

Ces drames sont très nombreux. L’Ancien Testament en fournit parfois le sujet. Plus habituellement, ils retracent des circonstances tirées de la vie des saints, particulièrement des saints espagnols, des fondateurs d’ordres religieux, et reproduisent sous la forme du dialogue les détails transmis par la tradition, en y ajoutant les développemens nécessaires pour donner à la légende la forme et la consistance de la comédie.

Il est une observation que suggèrent d’abord ces compositions singulières et dont on ne peut manquer d’être frappé en les lisant. Évidemment, le public devant lequel on les représentait avait une connaissance intime de l’histoire ecclésiastique. Tout ce qui se rapporte aux ordres monastiques, à leurs règles, au but de leur institution, à l’intérieur même de la vie des couvens, lui était familier, et loin d’être choqué de la bizarrerie des habitudes monacales, il y trouvait le principe d’un surcroît d’admiration et de respect pour les institutions dont elles étaient à ses yeux le symbole. S’il en eût été autrement, si les poètes eussent pu craindre que le tableau exact et naïf de la réalité ne jetât sur les saints personnages dont ils voulaient célébrer la gloire une teinte de ridicule, ils eussent certainement essayé d’écarter un tel danger en idéalisant cette réalité et en remplaçant par des traits généraux l’exactitude un peu triviale de certains détails. C’est ce qu’on ne voit pas qu’ils aient jamais fait. Tout au contraire, il semble en les lisant que dans ce siècle d’ardentes croyances le froc et ses accessoires donnassent un caractère de noblesse et de grandeur à toutes les idées qu’on y rattachait, et ces tableaux de la vie religieuse étaient si loin d’exciter dans les esprits une impression analogue à celle qu’ils éveilleraient aujourd’hui, ils étaient si loin de prêter à la dérision, que les auteurs de ces drames, composés dans une intention évidente de piété, ne craignaient pas d’y mêler, suivant le goût du temps, des scènes de bouffonnerie dont nul alors n’était scandalisé ; personne, en effet, ne supposait qu’on pût voir, dans l’ensemble du tableau au milieu duquel ces scènes étaient jetées, autre chose qu’un objet de respectueuse admiration.

Ces œuvres étranges où la superstition s’exprime souvent d’une manière si naïve, disons mieux, si grossière et si burlesque, qu’on les croirait datées du moyen-âge, avaient pourtant les mêmes auteurs, étaient représentées sur les mêmes théâtres, devant le même public, avec le même succès que tant d’autres drames, véritables chefs-d’œuvre de génie, de goût, d’esprit fin et exquis. C’était Lope, c’était Moreto, c’était Calderon lui-même, bien que dans une forme ordinairement plus poétique, qui offraient ces incroyables spectacles à la cour brillante et raffinée de Philippe IV, Une telle anomalie est certes une