Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
325
THÉÂTRE ESPAGNOL.

des plus frappantes que présente l’histoire de l’Espagne, et elle suffirait pour imprimer à cette époque le caractère d’une incontestable originalité.

Il est, d’ailleurs, un contraste bien plus surprenant encore : c’est celui que présente, avec la haute civilisation du siècle où parurent ces comédies religieuses, l’absurde et odieuse morale qui en fait la base. Ne perdons pas de vue que, malgré les scènes bouffonnes dont elles sont semées, elles étaient composées dans une pensée d’édification, et qu’à l’accent de bonne foi, de conviction profonde qui y règne constamment, il est impossible de ne pas reconnaître qu’elles exprimaient les opinions généralement admises alors. C’est par ce côté qu’elles méritent surtout de fixer l’attention de l’observateur ; c’est sous ce point de vue, nous l’avons déjà dit, que nous nous proposons de les examiner.

L’idée qui se trouve le plus souvent reproduite dans ces drames étranges c’est celle de la toute puissance de la foi. Sur un pareil terrain, l’imagination peut s’ouvrir une large carrière. C’est une belle et grande pensée, inséparable d’ailleurs de toute religion positive, que celle qui fait, de la plénitude de la croyance religieuse, sinon le principe de toutes les vertus, du moins le complément nécessaire pour les épurer, pour les rendre complètement méritoires aux yeux de la Divinité, et l’unique appui dans lequel l’homme puisse trouver la force suffisante, soit pour résister à l’entraînement des passions, soit pour s’arracher à leur joug lorsqu’il a eu le malheur de le subir. Il y a certes dans un pareil thème une source d’inspirations d’autant plus puissantes qu’elles peuvent se concilier avec une haute raison. L’exaltation passionnée des poètes espagnols, d’accord avec l’esprit de leur temps, n’a pas su se renfermer dans ces limites. On dirait qu’en se bornant à nous présenter l’admirable alliance de la piété et de la vertu s’appuyant et se fortifiant l’une par l’autre, ils auraient craint de ne pas rendre à la foi un hommage suffisant. Pour nous la faire voir dans toute sa gloire, ils nous la montrent complètement isolée et brillante de sa seule beauté. Par une abstraction impossible, absurde, contradictoire jusque dans ses termes, ils la supposent associée aux vices les plus monstrueux, tolérant pendant toute la durée de l’existence humaine les erreurs des passions les plus criminelles, et au dernier moment opérant dans l’ame du coupable, par l’effet d’une grace miraculeuse, une conversion qui suffit pour assurer son salut. Quelquefois même, leur imagination ne s’arrête pas là : éludant hardiment, pour la plus grande gloire de la religion, un de ses dogmes fondamentaux, ils arrachent aux châtimens éternels le pécheur surpris par la mort au milieu du crime. S’ils n’osent pas dire précisément que la foi, à elle seule, suffit pour mériter au criminel non repentant l’éternité bien heureuse, ils arrivent par une voie détournée au même résultat ; ils font intervenir la toute-puissance divine qui, bouleversant toutes les lois de la nature, ressuscite le croyant mort dans l’impénitence pour lui donner la possibilité de mériter cette éternité.

Dans le développement de ces conceptions monstrueuses, une seule crainte paraît préoccuper les poètes, celle de ne pas donner une idée assez complète de la puissance de la foi en ne peignant pas sous d’assez noires couleurs la