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personne qualité pour la juger, nous a dit déjà, et je répète ici ce passage trop essentiel au portrait de Mme de Longueville pour ne pas être rappelé : « Cette princesse avoit tous les avantages de l’esprit et de la beauté en si haut point et avec tant d’agrément, qu’il sembloit que la nature avoit pris plaisir de former en sa personne un ouvrage parfait et achevé ; mais ces belles qualités étoient moins brillantes à cause d’une tache qui ne s’est jamais vue en une personne de ce mérite, qui est que, bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformoit si fort dans leurs sentimens, qu’elle ne reconnaissoit plus les siens propres. »

La Rochefoucauld ne put d’abord se plaindre de ce défaut, puisqu’il lui dut de la conduire. Ce fut l’amour qui chez elle éveilla l’ambition, mais il l’éveilla si vite, pour ainsi dire, qu’il ne s’en distingua jamais.

Contradiction singulière ! plus on considère la politique de Mme de Longueville, et plus elle se confond avec son caprice amoureux ; mais si l’on serre de près cet amour lui-même (et plus tard elle nous l’avouera), il semble que ce n’est plus que de l’ambition travestie, un désir de briller encore.

Son caractère manquait donc tout-à-fait de consistance, de volonté propre. Et son esprit, notons-le bien, si brillant et si fin qu’il fût, n’avait rien qui s’opposât trop directement à ce manque de caractère. On peut voir juste et n’avoir pas la force de faire juste. On peut avoir de la raison dans l’esprit et pas dans la conduite, le caractère entre les deux faisant faute. Mais ici le cas diffère : l’esprit de Mme de Longueville n’est pas, avant tout, raisonnable ; il est fin, prompt, subtil, ingénieux, tout en replis ; il suit volontiers son caractère, qui lui-même fuit ; il brille volontiers dans les entrecroisemens et les détours, avant de se consumer finalement dans les scrupules. Il y a beaucoup de l’hôtel Rambouillet dans cet esprit-là.

« L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. » C’est encore l’auteur des Maximes qui dit cela, et Mme de Longueville, avec toutes ses métamorphoses, lui était certainement présente lorsqu’il l’a dit. Elle, la plus féminine des femmes, lui put servir du plus bel abrégé de toutes les autres. Au reste, s’il a observé évidemment d’après elle, elle aussi semble avoir conclu d’après lui ; l’accord est parfait. La confession finale de Mme de Longueville, que nous lirons, ne nous paraîtra que la traduction chrétienne des Maximes.

Retz, moins engagé à ce sujet que La Rochefoucauld, et qui