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MADAME DE LONGUEVILLE.

faute durant les guerres civiles. À la mort de M. Singlin, elle passa sous la direction de M. de Saci. Lorsque celui-ci fut à la Bastille, elle eut M. Marcel, curé de Saint-Jacques, et d’autres également sûrs ; elle écrivait très assiduement au saint évêque d’Aleth (Pavillon), et suivait en détail ses réponses comme des oracles.

Le duc de Longueville étant mort en mai 1663, elle pouvait courir dorénavant avec moins de retard dans cette voie de la pénitence qui la réclamait tout entière. Les troubles seuls de l’église à cette époque la retenaient encore. Elle fut très active pour Port-Royal en ces années difficiles. La révision du Nouveau-Testament dit de Mons s’acheva dans des conférences qui se tenaient chez elle. À partir de 1666, elle eut cachés dans son hôtel Arnauld, Nicole et le docteur Lalane. On en raconte quelques anecdotes assez vraisemblables, qui durent égayer un peu les longueurs de cette retraite.

Arnauld, un jour, y fut attaqué de fièvre ; la princesse fit venir le médecin Brayer et lui recommanda d’avoir un soin particulier d’un gentilhomme qui logeait depuis peu chez elle ; car Arnauld avait pris l’habit séculier, la grande perruque, l’épée, tout l’attirail d’un gentilhomme. Brayer monte et, après le pouls tâté, il se met à parler d’un livre nouveau qui fait bruit, et qu’on attribue, dit-il, à messieurs de Port-Royal : « Les uns le donnent à M. Arnauld, les autres à M. de Saci ; mais je ne le crois pas de ce dernier, il n’écrit pas si bien. » À ce mot, Arnauld oubliant le rôle de son habit et secouant vivement son ample perruque : « Que voulez-vous dire, monsieur ? s’écrie-t-il ; mon neveu écrit mieux que moi. » Brayer descendit en riant et dit à Mme de Longueville : « La maladie de votre gentilhomme n’est pas considérable. Je vous conseille cependant de faire en sorte qu’il ne voie personne : il ne faut pas le laisser parler. » Tel était au vrai, dans son ingénuité, le grand comploteur et chef de parti Arnauld.

On voit dans les fragmens (à la suite de l’Histoire de Port-Royal, par Racine) que Nicole était plus au goût de Mme de Longueville qu’Arnauld, comme plus poli en effet, plus attentif. Dans les entretiens du soir, le bon Arnauld, près de s’endormir au coin du feu, et rentrant tête baissée dans l’égalité chrétienne, défesait tout doucement ses jarretières devant elle : ce qui la faisait un peu souffrir. Nicole avait plus d’usage ; on dit pourtant qu’un jour, par distraction, il posa en entrant son chapeau, ses gants, sa canne et son manchon sur le lit de la princesse ! Tout cela faisait partie de sa pénitence.

Elle contribua autant qu’aucun prélat à la paix de l’église. Ces négociations croisées, si souvent renouées et rompues, leur activité