Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/523

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
519
ESPARTERO.

s’était retiré après l’invasion, Espartero entra dans l’école militaire établie dans l’île de Léon. Il sortit de cette école avec les épaulettes de sous-lieutenant, mais alors la guerre contre Napoléon venait de finir. Une expédition était sur le point d’être dirigée contre les colonies espagnoles insurgées de l’Amérique du Sud ; Espartero, ne sachant que faire, se présenta au général don Pablo Morillo, qui était chargé du commandement de cette expédition, et obtint d’en faire partie. Au moment où les officiers mettaient le pied sur le vaisseau qui devait les transporter en Amérique, ils avançaient d’un grade. Espartero profita, comme les autres, de ce privilége ; il sut de plus se rendre utile dans la traversée au général Morillo, qui le plaça dans son état-major.

Naturellement très brave, il fit rapidement son chemin pendant la guerre. Appelé à la tête d’un bataillon, il combattit vaillamment, en 1817, dans l’affaire de Supachui, où le chef des insurgés La Madrid fut complètement battu. Nommé lieutenant-colonel, il battit au mois de mai 1818 le corps des insurgés de Rueto dans les plaines de Majocayo. En 1819, il contribua efficacement à la soumission de la province de Cochabamba, et poursuivit, conjointement avec le général Seoane, les insurgés de cette province pendant cinquante-six jours. En 1823, il était colonel, et il assista comme tel, le 19 janvier, à l’affaire de Torata, où il fut deux fois grièvement blessé. Mais le principal emploi de son temps dans cette expédition, ce fut moins la guerre que le jeu ; il y gagna une fortune considérable.

La fureur du jeu était la passion dominante de l’armée expéditionnaire. Généraux, officiers et soldats jetaient tout leur avoir sur une carte. Espartero était le plus beau joueur et le plus heureux de toute l’armée ; beaucoup de généraux et d’officiers supérieurs lui devaient sur parole des sommes énormes, et tous n’avaient qu’à se louer de sa courtoisie. On raconte qu’il gagna dans une seule soirée, au général Canterac, jusqu’à seize mille onces d’or, plus d’un million de francs de notre monnaie. En sortant avec Espartero de la maison où ils avaient joué, Canterac lui dit : Je vous dois seize mille onces d’or, je vais faire en sorte de vous les payer. — Vous me deviez cette somme, répondit Espartero, quand nous étions encore assis autour de la table du jeu ; mais ici vous ne me devez plus rien. — C’est peut-être à cette vie de hasard qu’il faut attribuer la formation du caractère qu’a montré depuis Espartero, caractère mêlé d’énergie, d’apathie et de ruse, comme celui de tous les joueurs de profession. C’est aussi dans ce même temps, et pendant ses succès au jeu, qu’Espartero acquit une grande habileté dans le maniement de toutes sortes