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concilier Espartero. Dans le commencement de sa fortune, le généralissime a manifesté des préférences pour le parti modéré, et il n’y avait pas d’injures que les exaltés ne publiassent alors contre lui. Depuis, les obsessions et les flatteries dont il a été entouré, la conspiration permanente qui s’est établie au milieu de son état-major, les résistances qu’il a trouvées dans le gouvernement contre les prétentions exagérées de son ambition, l’ont amené à se compromettre peu à peu avec les exaltés, et ont fini par lui faire faire à Barcelone un pas décisif qui l’a jeté un moment dans les bras du parti révolutionnaire. Nous allons retracer rapidement les principales phases de ce changement radical.

Espartero avait pris son commandement peu après les scènes de la Granja. Il fut témoin de la désorganisation que cet évènement apporta dans toute l’Espagne. L’acte brutal du sergent Garcia, qu’il devait imiter plus tard, l’avait révolté ; les conséquences de l’administration qui suivit ne firent qu’accroître son mécontentement. Placé à la tête de l’armée dans les circonstances les plus difficiles, il vit tout ce que laissait de vide dans un pays l’absence d’un gouvernement régulier. Impérieux comme il l’était, et ami de l’autorité, il se prononça contre le ministère Calatrava, tout en affectant de ne se mêler que de ce qui le regardait directement, l’armée. Sa première intervention dans les affaires, tout indirecte qu’elle fut, amena la chute de ce ministère.

C’était au mois d’août 1837. Don Carlos venait de lever le siége de Madrid, et l’armée d’Espartero campait aux portes de la capitale qu’elle était venue défendre. Des officiers de la garde royale, réunis à Pozuello de Aravaca, firent une adresse à la reine pour demander le renvoi du ministère. Les ministres demandèrent à leur tour que les auteurs de cet acte d’insubordination fussent punis suivant les lois militaires ; Espartero s’y refusa. Il y eut alors conseil des ministres pour délibérer sur les moyens de rétablir dans l’armée l’ordre et l’obéissance ; ils ne s’entendirent pas et donnèrent leur démission. Dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, Espartero avait laissé faire plus qu’il n’avait fait lui-même. Il n’en eut pas moins, aux yeux de tous, la responsabilité de ce qui venait de se passer ; les exaltés le traitèrent comme un Cromwell, et les modérés lui firent fête comme à un libérateur, ne songeant pas qu’ils glorifiaient ainsi un terrible précédent qui pouvait plus tard être tourné contre eux.

Dans le ministère qui fut nommé en remplacement de celui qui tombait, Espartero était président du conseil et ministre de la guerre.