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jour que le changement de ministère. Mais cette solidarité politique du gouvernement et du général disparut devant une question d’amour-propre. Trois ministres avaient été changés, et parmi eux le ministre de la guerre, les cortès avaient été dissoutes, des élections nouvelles avaient été décrétées, et Espartero n’avait pas été consulté.

Le gouvernement de la reine, il faut le reconnaître, manqua complètement de tact politique en cette occasion. Sans doute, à ne prendre conseil que des principes, Espartero n’était qu’un général dont le premier devoir était l’obéissance ; mais ce général disposait en maître de la seule force organisée qu’il y eût dans le pays, il venait d’exclure le prétendant du territoire national, et il travaillait à pacifier le reste de la Péninsule. Sans doute aussi ses exigences étaient extrêmes, son caractère irritable, ses prétentions souvent abusives ; mais en flattant son orgueil par des preuves de déférence habilement calculées, on aurait pu l’amener à se compromettre en faveur du remaniement qui venait d’avoir lieu. Dans tous les cas, il ne fallait rompre avec lui qu’autant qu’on était sûr d’opposer à son ascendant un ascendant supérieur. Sans se rendre compte de ce qui en résulterait, les ministres ne donnèrent communication de leur coup d’état à Espartero que lorsque tout fut fini, et pendant que les journaux du gouvernement à Madrid annonçaient arrogamment que l’adhésion ferme et loyale du duc de la Victoire n’était pas douteuse. Espartero fut profondément blessé de ce procédé.

C’est par cette brèche que l’intrigue exaltée est enfin parvenue à s’introduire dans le cœur naturellement loyal du généralissime. Il y avait auprès d’Espartero un homme qui jouissait de toute sa confiance ; c’était le brigadier Linage, qui remplissait au quartier-général les fonctions de secrétaire, poste très important en Espagne, où les attributions ne sont pas aussi définies qu’en France. Ce Linage, qui a été long-temps, sous Ferdinand VII, secrétaire du comte Casa-Eguia, alors capitaine-général de Galice, est un homme ambitieux et habile, qui n’appartient en propre à aucun parti, et qui est prêt à les servir tous. Il est parvenu à se rendre absolument nécessaire à Espartero, qui ne voit, ne parle et n’écrit que par lui. C’est lui qui fait la correspondance privée d’Espartero aussi bien que ses ordres du jour ; quand le généralissime joue au trésillo, c’est lui qui donne pour Espartero, qui ramasse les cartes et qui les montre à son maître, nonchalamment couché. Les exaltés avaient eu soin de s’assurer d’avance de lui, et il n’épargnait rien pour semer autour du duc de la Victoire des préventions contre les ministres.