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nistres et d’admettre aisément que l’attachement le plus absolu à leur personne peut se concilier avec l’hostilité envers les hommes qui gouvernent en leur nom. Quelle que fût la sympathie de la reine Christine pour la ligne politique suivie par son conseil, elle comprenait très bien qu’Espartero fût tout autre pour elle que pour ses ministres. Sans doute aussi elle comptait essayer sur lui cet entraînement qu’elle a presque toujours exercé jusqu’ici sur ceux qui ont eu l’honneur de l’approcher, et qui tient à la distinction très réelle de son esprit, unie à la séduction de ses manières et de sa personne. Que voulait-elle faire du dévouement d’Espartero après s’en être assurée par elle-même ? C’est son secret. Tout ce qu’il est possible de dire, c’est que l’union franche et durable des deux seules forces de l’Espagne, la royauté et l’armée, aurait enfin créé dans ce malheureux pays ce qui lui manque depuis sept ans, un pouvoir, et c’est sans doute ce que la reine Christine avait senti quand elle se résolut à aller elle-même au-devant de son armée victorieuse.

Mais elle avait compté sans ses ennemis, les chefs des sociétés secrètes ; elle n’avait pas non plus suffisamment mesuré la portée de la mauvaise humeur d’Espartero contre ses ministres. Après tout, c’était elle qui les maintenait au pouvoir, ces hommes dont le généralissime avait eu un jour à se plaindre ; elle s’était associée à leurs actes, à leurs idées politiques, ainsi qu’aux votes de ces cortès élues hors de l’influence d’Espartero, et presque contre son influence. Quelle que fût la tendance naturelle du généralissime vers les opinions modérées, il suffisait que ces opinions fussent celles du cabinet pour qu’il ne leur fût pas favorable. Cette fameuse loi des ayuntamientos, que les cortès venaient de voter, elle devait avoir à ses yeux une tache indélébile dans son origine. Ne savait-on pas d’ailleurs que les exaltés et les Anglais avaient précédé la reine au quartier-général, et y avaient établi de longue main leur ascendant sur l’esprit faible et ballotté du duc de la Victoire ? Ne savait-on pas que les partis révolutionnaires ne reculent devant aucun moyen de parvenir momentanément à leurs fins, sans s’inquiéter de l’avenir, et qu’ils ne craignent pas, pour tenter à un jour donné l’ambition d’un homme dont ils ont besoin, de lui offrir ce qu’une tête couronnée ne peut promettre, l’autorité illimitée et absolue ?

Dès que ce fatal voyage fut décidé, la lutte entre le ministère et Espartero éclata par une question d’itinéraire. Les ministres et la reine elle-même voulaient que le voyage se fît par Valence ; Espartero insista pour qu’il eût lieu par Sarragosse et l’Aragon. La route de