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et envoya sa démission. Cette démission ne pouvait pas être acceptée ; elle ne le fut pas. C’était Linage qui avait rédigé la lettre à la reine où Espartero expliquait ses motifs ; cette lettre, qui accusait la reine d’avoir manqué à sa parole, et qui donnait aux ministres l’épithète de carlistes, fut en partie rendue publique. Il s’ensuivit une grande émotion dans Barcelone. Un bataillon des guides de Luchana, véritable garde royale d’Espartero, était entré dans la ville avec son général ; les soldats de ce bataillon se répandirent dans les tavernes en criant contre l’horrible ingratitude dont on venait de récompenser les services du duc de la Victoire. Linage et l’état-major tout entier tenaient le même langage dans les cafés, sur les places publiques. L’ayuntamiento, de son côté, préparait ses bullangeros (émeutiers).

Le général Van-Halen, capitaine-général de la Catalogne, créature d’Espartero, était alors aux eaux de Caldas ; on lui fit dire de l’état-major, par un adjudant, de rentrer sans délai à Barcelone. Des ordres furent expédiés en même temps aux généraux Ayerbe, Castañeda et Clémente, qui commandaient des divisions d’avant-garde, pour qu’ils eussent à se diriger sur Barcelone à marches forcées ; quarante mille hommes entourèrent bientôt la ville. Ce général démissionnaire, qui rassemblait toutes ses forces pour lutter contre une femme, était de plus commandant-général de la garde royale, qui ne pouvait bouger sans son ordre ; les autorités militaires de la province lui appartenaient ; l’ayuntamiento lui obéissait ; il avait dans ses mains toute la puissance. La reine et les ministres étaient sans défenseurs.

Cependant l’orgue de Barbarie allait jouant dans les rues de Barcelone l’air convenu qui sert de rappel dans les jours d’émeute. À cette convocation bien connue, on vit paraître par groupes sur les places publiques ces hommes que le baron de Meer avait désarmés, et qui ne se montrent que dans les momens sinistres. Le 18, dans l’après-midi, au moment où les préparatifs de la sédition devenaient flagrans, Espartero alla voir de nouveau la reine. Il espérait sans doute la trouver intimidée par la concentration de ses troupes sur Barcelone et par les démonstrations non équivoques qui commençaient à éclater dans la rue. La reine montra un courage inébranlable : Tu es commandant des troupes, dit-elle à Espartero, tu me réponds de l’ordre. Espartero répondit qu’il fallait choisir entre le ministère et lui, et que, si la reine ne révoquait pas la sanction qu’elle avait donnée à la loi des municipalités, elle verrait couler le sang en abondance, sangre hasta le rodilla, du sang jusqu’au genou.

Si la reine avait été peu émue de ces menaces ; les ministres en