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manque une police régulière qui établisse la sûreté des routes, qui arrête les malfaiteurs, qui donne enfin à cette population si tourmentée le premier des biens, la sécurité. Tout cela ne peut être obtenu que par le secours d’une armée puissante, fidèle, dévouée, soumise à un chef qui se soumette lui-même aux lois de son pays.

Si le généralissime s’était entendu avec la reine, la question était résolue. Certes, s’ils avaient été d’accord sur la marche générale de la politique, la reine ne lui aurait pas refusé cette satisfaction qu’elle lui avait déjà accordée une fois, de changer des ministres qui lui déplaisaient. C’est sur la dissolution des cortès et sur le rappel de la loi des ayuntamientos, c’est-à-dire sur le système politique dont au fond Espartero se soucie fort peu, qu’a surtout porté le différend. Il est faux que la reine ait jamais demandé à Espartero de l’aider à abroger la constitution de 1837 ; c’est au contraire Espartero qui s’est mis dès le premier jour en insurrection contre le pouvoir constitutionnel des deux chambres. Il a arrêté par pur caprice un mouvement régulier, légal, de l’opinion publique ; il a rejeté l’Espagne dans les expériences quand elle était près d’en sortir ; il a rembruni lui-même l’avenir qu’il avait éclairci, et il a forcé son pays à courir encore les hasards des révolutions, quand il pouvait lui être donné d’en être deux fois le pacificateur.

Que pouvait-il désirer encore ? Rien. Tout ce qu’il a demandé, on l’a fait. Il ploie sous les dignités et sous les récompenses. Quand il a voulu, dans sa jalousie, écarter de tout commandement les rivaux qui pouvaient lui faire ombrage, le gouvernement s’est fait le complice de ses petits calculs d’amour-propre. Deux généraux qui avaient rendu de grands services à l’Espagne, et dont l’un avait été son bienfaiteur, Cordova et Narvaez, ont été exclus, pour lui plaire, de toute participation aux travaux de l’armée ; abreuvés de refus et d’humiliations, ils ont été réduits tous deux à une tentative insensée qui a fait mourir Cordova dans l’exil. Le brave capitaine-général de la Catalogne, celui qui avait rétabli dans cette province l’autorité des lois, le baron de Meer, a été sacrifié à sa susceptibilité, et remplacé par l’homme qu’il a désigné. Il a rempli de ses créatures, ayacuchos et autres, tous les emplois militaires. Lui qui aime tant le repos, il pouvait désormais, s’il l’avait voulu, vieillir glorieusement au milieu de tant de puissance et d’honneurs.

C’est à lui maintenant de se tirer comme il pourra du défilé où il s’est jeté. Jamais il ne retrouvera la position tranquille et élevée qu’il a perdue volontairement. Voici qu’on commence à parler de divi-