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toute son autorité au service du nouveau culte, créer des châtimens pour les plus légers délits : il parvint seulement à organiser l’hypocrisie. Le mal avait fait de tels progrès dès 1819, que les missionnaires convoquèrent une assemblée des chefs pour promulguer une sorte de code pénal. Le roi ouvrit la séance et lut une série de dispositions coërcitives qui atteignaient les moindres contraventions morales. Cet acte ne fit qu’accroître le mécontentement ; les procès qui en furent la suite ne guérirent rien, ne réparèrent rien, et là où les missionnaires croyaient avoir semé la crainte, ils ne recueillirent que le scandale.

Pomaré lui-même résista, en quelques occasions, aux empiétemens des évangélistes. Sous le titre de Sociétés auxiliaires des Missions, ils avaient organisé une perception indirecte au profit du culte. Les sociétaires devaient fournir une certaine quantité de valeurs en nature, des racines d’arrow-root par exemple, ou de l’huile de coco. Cette taxe, légère d’abord, finit par devenir si onéreuse, que Pomaré s’en formalisa. Ce fut là d’ailleurs un éclair fugitif de résistance. Dans les dernières années de sa vie, ce chef célèbre se laissa abrutir par l’ivrognerie. Boire et traduire les Écritures, telles furent les deux idées fixes qu’il conciliait de la manière la plus singulière. Chaque matin, il se rendait dans son petit kiosque, situé sur l’île de Motou-Ta, avec sa Bible sous le bras et sa bouteille de rhum à la main, et il y demeurait des heures, des journées entières, lisant l’une et vidant l’autre. Puis, quand il sentait sa tête s’alourdir à la suite de libations trop copieuses : « Pomaré, s’écriait-il, ton cochon est maintenant plus en état de régner que toi. » Ces excès le minèrent ; la pensée s’en alla d’abord, puis la vie ; il mourut vers la fin de 1821. Les missionnaires, qui lui devaient leur puissance, lui accordèrent peu de regrets ; ils ne songèrent plus qu’à élever dans leur intérêt et selon leurs vues l’héritier du pouvoir, alors âgé de quatre ans.

Cependant, depuis la mort de Pomaré, l’influence morale semble s’être retirée peu à peu des missionnaires : ils effraient encore les populations, mais depuis long-temps ils ne les dirigent plus. L’enfant qu’ils élevaient, comme un Joas, à l’ombre de l’autel, couronné en 1824, au milieu d’un grand cérémonial, s’est éteint dans leurs bras en 1827. Depuis lors les deux femmes qui ont régné sur Taïti, Pomaré-Wahine comme régente, Aïmata-Wahine comme reine, ont souffert impatiemment un joug qu’elles ne pouvaient briser, et ont protesté