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L’ARTÉMISE À TAÏTI.

s’établit. Tati déplora l’aveuglement dans lequel les chefs avaient vécu jusqu’alors sur le compte de la France ; il parla de la nécessité d’accorder une réparation à une nation puissante ; puis, par un mouvement oratoire du plus grand effet, il déclara que voter à l’étourdie serait justifier la réputation de légèreté que les Taïtiens avaient trop souvent méritée par leur conduite. « Songez, dit-il en frappant sur la tribune, que vous délibérez aujourd’hui sous les yeux des représentans de très grandes puissances ; ne tranchez rien sans y avoir mûrement réfléchi. Vous demandez qu’on vote par acclamation, et moi je demande qu’on se sépare sans avoir rien décidé. Que chacun médite cette nuit dans le silence, et demain nous nous prononcerons avec maturité, avec sagesse, pour ou contre la loi. » C’était donner à la fois à l’assemblée une leçon et une impulsion. On se sépara sur ces paroles, et malgré les intrigues des missionnaires, qui s’agitèrent vainement, les chefs déclarèrent le lendemain, à l’unanimité, qu’ils acceptaient les conditions posées par le commandant français. Seulement ils demandaient que l’on assignât une résidence au clergé catholique. M. Moërenhout s’y refusa ainsi que M. Laplace. Ce dernier eut peut-être le tort de consentir à une condition additionnelle qui déclarait que nos missionnaires ne s’immisceraient en aucune manière dans les affaires de Taïti. Quand les lois s’interprètent à des distances semblables et sous l’influence de conseils malveillans, il faut éviter d’ouvrir la porte à de misérables chicanes.

Ainsi se termina cette affaire dont l’Artémise eut tous les honneurs. Désormais nos missionnaires seront respectés sur ces plages, et les relations commerciales se ressentiront certainement des leçons successives que les naturels ont reçues. La jalousie des évangélistes luthériens ne s’attaque pas seulement aux intérêts spirituels, et les biens de ce monde ne leur sont pas plus indifférens que les palmes de l’autre. Aussi, dans bien des occasions, nos navires baleiniers avaient eu à subir des injures et des dommages que le passage de nos frégates leur évitera désormais. La fermeté de M. Moërenhout et quelques croisières de bâtimens légers achèveront le reste.

Quant à l’introduction de missionnaires catholiques, nous n’y voyons qu’un avantage, celui de faire prévaloir, en fait comme en droit, la volonté et l’influence de la France. Sous l’action d’un culte incompatible avec les mœurs du pays et le caractère de ses peuples, nous avons vu ces générations d’insulaires dépérir et marcher vers un anéantissement graduel. Que sera-ce lorsque deux églises rivales se disputeront les ames à l’aide d’arguties théologiques ? Taïti est-il bien