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d’éclat et de facilité. Cette transformation singulière, et en définitive malheureuse, fut opérée par Marino dans le domaine de la poésie avec le succès extraordinaire que nous venons de rapporter et que nous allons expliquer ; mais les résultats de son triomphe s’étendirent beaucoup plus loin qu’il ne l’espérait. L’Europe intellectuelle, un peu lasse déjà d’imiter l’Italie, penchait légèrement vers l’imitation de l’Espagne : elle se soumit tout entière à ce Napolitain, qui offrait un double titre à sa sympathie, un reflet espagnol dans un modèle italien.

Le hasard et l’adresse concouraient donc à sa gloire. C’était un esprit frivole, mais lumineux et varié. Jamais le côté sérieux de la vie humaine ne l’avait inquiété. Il avait passé sa jeunesse à Naples, au milieu des intrigues amoureuses ; et comme il avait aidé un de ses amis à enlever la maîtresse d’un seigneur espagnol, on l’avait jeté en prison pour quelques semaines. De Naples et de ses délices, il avait été à Turin, où la même vie de plaisirs faciles s’était mêlée de combats littéraires couronnés d’un coup de pistolet que son adversaire tira sur lui. Merveilleux exploitateur des circonstances, habile à se mettre en scène et à se parer d’une lumière favorable, il avait donné à ce coup de pistolet tout le relief possible ; la grace de l’assassin, demandée par l’assassiné, avait jeté sur sa tête bouffonne et voluptueuse un reflet héroïque. De frivolités en frivolités, rimant sur toutes choses, brodant tous les sujets, déclarant la guerre aux anciens, abordant les peintures les plus graveleuses, attachant à ses poèmes l’enseigne du jeu de mot et du calembour, semant les poèmes de toutes sortes sur sa route aventureuse, il avait, en 1606, absorbé toutes les renommées et rejeté Dante et le Tasse dans l’obscurité.

Cette portion solide et fondamentale du talent, le bon sens, qui ne manquait pas à l’Arioste, encore moins à Cervantes, lui était étrangère. La couleur, la transparence, la verve, la facilité, la fluidité, l’harmonie, l’invention, la vivacité, la grace, la saillie de l’esprit, que de qualités ! quelle perte de qualités ! Elles ne servirent qu’à énerver encore l’épuisement italien. Au talent dépravé de Marin appartient la mission singulière que nous venons d’indiquer, que personne n’a observée et décrite ; ce fut lui qui propagea en France, et par-là en Europe, le nouveau génie italo-hispanique, génie hétéroclite et sans unité, qui s’était emparé de l’Italie nouvelle et dont le foyer se trouvait à Naples, sa patrie. Instrument de transmission aussi active que contagieuse, il vint imprégner de cette sève ingénieusement fatale une portion notable de la société française, tout l’hôtel de