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LE MARINO.

Rambouillet, les Cotin, les Perrault, les Boursault, les Godeau, les Voiture et les Saint-Amant. Déjà il avait produit, en 1606, dix volumes de riens sonores, de rimes amoureuses, bocagères, morales, lyriques, héroïques, satiriques, comiques, bulles d’air merveilleusement cadencées, chefs-d’œuvre d’habileté puérile. Plusieurs fragmens de son poème épique, consacré aux amours d’Adonis, s’étaient répandus en Europe, et la renommée le proclamait maître des maîtres, supérieur au Tasse, chantre des voluptés les plus délicates, arbitre du goût, roi de l’harmonie et de l’art des vers, lorsqu’un de ses compatriotes le fit venir en France. Cet italien n’était autre que Concino Concini, maréchal d’Ancre, favori de la reine, et bientôt mis en lambeaux par le peuple parisien, que toute cette cour italienne fatiguait de son luxe, de son arrogance, peut-être aussi de son élégante supériorité.

Marino avait quarante ans, l’expérience du monde, la connaissance des cours ; il profita de cette invitation, et fit sa fortune.

Le séjour du cavalier Marin à Paris est une date importante dans notre littérature.

Rue Saint-Thomas-du-Louvre, non loin de l’emplacement du Palais-Cardinal, s’élevait, en 1615, du sein des toitures aiguës qui caractérisaient les vieilles constructions de la bourgeoisie parisienne, un hôtel remarquable par le goût italien de son architecture. C’était cet hôtel Pisani ou Rambouillet que les précieuses choisirent pour quartier-général, et que distinguaient la splendeur recherchée des ornemens, le style magnifique et coquet de ses vastes jardins, et surtout l’élégance parée des gens qui le fréquentaient. La maîtresse du logis, plus distinguée que jolie, plus gracieuse que tendre, femme italienne, Pisani par son père, Savelli par sa mère, avait épousé M. de Rambouillet, grand-maître de la garde-robe sous Louis XIII. Autour d’elle se réunissaient les débris de la cour italienne de Catherine de Médicis et les gens qui, en France, visaient au bel esprit. Vraie fille du XVIe siècle italien[1], elle aimait les raffinemens et les délicatesses. Elle donna le ton à sa coterie ; dès les premières années du XVIIe siècle, on vit se préparer, sous son influence, le berceau des Cotin, des Boursault, surtout de Voiture, l’idole du lieu. Chapelain, alors jeune, préludait à son autorité dans la maison, et s’arrogeait déjà cette puissance de critique littéraire qui dispense souvent un homme de bon goût et de génie. La frivolité s’alliait ainsi au pédantisme. On avait grande horreur du langage bourgeois, du

  1. Voyez Tallemant des Réaux.