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LE MARINO.

qui comptait par-delà les Alpes trois siècles et demi de luxe et d’éclat. On faisait donc mille efforts pour se distinguer du vulgaire parisien ; pour effacer la rouille gauloise, pour s’élever à une sphère de civilisation plus ornée et plus délicate. Depuis cent années, le rayonnement de l’Italie lettrée avait ébloui la France, comme ce bon Henri Estienne s’en plaignait amèrement[1] ; mais l’inoculation des vices et des débauches, s’opérant d’abord avec une violence effrénée, avait arrêté l’assimilation des études et des esprits chez les deux peuples. Vers la fin du XVIe siècle seulement, Desportes et Bertaut essayèrent de transplanter dans la littérature française quelques-unes des graces italiennes. Mme de Rambouillet s’empara de ce dernier mouvement, elle en fut le véritable chef, et le perpétua dans le siècle même de Louis XIV.

Elle parvint donc à fonder, au sein de l’hôtel Pisani, une véritable cour de petit prince d’Italie, une académie dorée, dansante, pimpante et versifiante, qui se pressait en babillant autour de la reine Arténice. On y inventait mille gentillesses, on y faisait mille jolis tours ; on rivalisait de fadaises agréables. C’étaient des portraits et des épigraphes, des apparitions et des mascarades, des espiègleries et des surprises, le tout assaisonné de belle littérature et de souvenirs mythologiques, pour ne pas se confondre avec les bourgeois. On ouvrait tout à coup une porte à deux battans, et la belle Arténice apparaissait en costume de Diane ou d’amazone, à la lueur de mille bougies. Un jour que l’on recevait un évêque, on disposait autour d’un rocher, orné d’une cascade, vingt nymphes vivantes et belles, assez légèrement vêtues, groupées comme dans un tableau de Guide, armées de leurs lyres et de leurs guirlandes, et qui produisaient sur « l’ame du vénérable druide une sensation extraordinaire. » Ces heureux enfans trouvaient une joie infinie dans la mise en scène italienne de ces gentilles inventions. Le génie qui planait sur les jardins enchantés et l’agréable palais de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, n’avait assurément ni sévérité ni grandeur ; mais il se distinguait par la grace et l’élégance, qualités dont on avait besoin alors : il adoucissait, par une certaine galanterie délicate, la sensualité vive et tant soit peu cavalière que notre race gauloise a toujours laissé paraître en affaires d’amour. Tout le mouvement intérieur de cet hôtel de Rambouillet, plaisanteries, surprises, ballets épigrammatiques, représentations mythologiques, enfantillages charmans, conduisait dou-

  1. Du Langage français italianisé.