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cement la société française à son beau développement du siècle de Louis XIV. Anne d’Autriche et le cardinal de Richelieu firent dominer l’influence espagnole ; Mazarin et les Pisani continuèrent à soutenir un débris de l’influence italienne déjà modifiée. Une certaine liberté d’opinions politiques donnait plus de vivacité aux plaisirs puérils de la coterie des précieuses. Richelieu n’aimait guère l’hôtel de Rambouillet ; Mazarin comptait ses plus vifs ennemis parmi les habitués de ce palais. L’esprit français y conservait sa vivacité frondeuse, qui se raffinait et se subtilisait chaque jour. La manière de tapisser les appartemens, de tenir une grande maison, était enseignée aux gentilshommes de France par l’exemple de Julie d’Angennes ; et quand Marie de Médicis voulut construire son palais du Luxembourg, elle exigea que les fenêtres en fussent dessinées sur le modèle des fenêtres italiennes de l’hôtel Pisani.

Ce fut donc une grande joie parmi les premiers adeptes de ce cercle italien qui venait d’éclore en 1606, quand on apprit que le plus grand poète de l’Italie, le Marino, invité par le maréchal d’Ancre à visiter la France, allait se rendre à Paris. Il n’y apporta point ce que l’on espérait. On attendait de lui les fruits de la civilisation italienne pure, la poésie du Tasse et de l’Arioste, le génie d’un siècle écoulé. Mais lui, représentant d’une société nouvelle, dénuée de toute énergie, sans ame politique, sans nationalité et sans courage ; lui, mélange hétérodoxe des languissantes voluptés de l’Italie et des inventions arabes de l’Espagne, joignant le cliquetis des mots à la sonorité des phrases, et l’exagération des images à la subtilité des concetti ; rachetant tous ces vices par une limpidité de diction[1] extraordinaire et une fécondité d’imagination étrange, il communiqua aux esprits français un double ébranlement. Les uns, comme Cyrano, Balzac, Scarron et Rotrou, inclinaient vers l’imitation espagnole ; les autres, comme Saint-Amant, Voiture, Durfé, préféraient les modèles italiens ; mais tous acceptèrent l’autorité d’un poète à la fois italien et espagnol.

Dieu sait quelle fête lui fut faite. Il avait, je l’ai dit, l’expérience de la vie et la connaissance des hommes. Il se montra peu, afin de ne pas user l’idole. Il amassa beaucoup d’argent, se doutant apparemment que c’était là le plus clair résultat de sa gloire. Il ne se communiqua guère que par ses œuvres, que l’on admira sur parole. Plus intéressé que vaniteux, plus habile que facile à séduire, il se moqua

  1. Lœvis proeter fidem sermo. Pallavicini.