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dans sa nature rien de l’emphase ibérique ou de la langueur italienne. Mais si elle se laissa séduire, elle ne se laissa jamais absorber ; la broderie de ces nuances étrangères vint colorer le ferme tissu de l’intelligence française, et le fond de la trame résista toujours ; il se présenta chez nous, de siècle en siècle, des réparateurs actifs qui s’opposaient à l’excès funeste des envahissemens extérieurs et faisaient reparaître dans sa verte saveur la puissante sagacité de notre esprit national.

Tels furent Calvin, Montaigne, Pascal, Bossuet dans la prose, Marot, Malherbe, Corneille, Racine, Boileau, Lafontaine dans la poésie. Non qu’il faille regarder tous ces grands écrivains comme hostiles à l’influence étrangère. Ils l’adoptaient en la réglant. Ils opéraient une fusion habile, au sein de laquelle l’esprit français dominait toujours. Marot et Rabelais sont en grande partie Italiens ; Corneille s’est assimilé tout ce que l’Espagne avait de plus grand ; chez Racine lui-même, une douce lueur émanée de Guarini et de la Diane de Montemayor, se joue avec une grace et une réserve divines. Mais ceux que la faiblesse ou l’exagération de leur intelligence ne garantirent pas d’une imitation d’esclave, Balzac avec ses phrases espagnoles, Voiture avec ses concetti hispano-italiens, Cyrano, cousin-germain de Quevedo, Saint-Amant, héritier direct du Marino, n’ayant pas assez de bon sens pour avoir du génie, mais doués d’assez de talent et d’esprit pour aider le progrès général suivi par notre idiome, brillèrent un instant, puis disparurent, laissant des noms équivoques.

Il serait fort difficile d’associer ou d’intéresser le lecteur moderne à une analyse de l’Adone. C’est à la fois un compromis entre la mythologie grecque et la féerie chevaleresque, entre la tragédie et l’imbroglio, entre l’hymne érotique et la description épique, entre les couleurs chrétiennes et arabes de l’Espagne et les souvenirs païens de l’Italie voluptueuse. C’est quelque chose de faux et d’incomplet, comme si deux nuances ennemies, deux lumières inconciliables cherchaient à se pénétrer sans y parvenir ; à peine osons-nous rejeter dans une note l’échantillon de ce style[1], que tous les beaux-esprits

  1. Come prodigiosa acuta stella,
    Armata il volto di scintille e lampi,
    Fende de l’aria, horribil si, ma bella,
    Passeggierà lucente, i larghi campi ;
    Mira il nocchier, da questa riva e quella
    Con qual purpureo piè la nebbia stampi,
    E con qual penna d’or scriva e disegni