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choses, l’étonnement redouble : que penser, en effet, de lord Palmerston, lorsqu’il affirme gravement, dans sa réponse à M. Hume, que la nouvelle alliance, au lieu de seconder les vues ambitieuses de la Russie en Orient, aura un résultat tout contraire ? À cette occasion, il a fait une remarque qui serait plaisante, si la plaisanterie pouvait trouver place dans une matière aussi grave. Vous croyez que les Russes sont arrivés à Khiva ? Vous vous effrayez de leurs progrès dans le cœur de l’Asie ? Vous pensez peut-être que cette marche sur Khiva est une preuve irrécusable de l’ambition démesurée de l’autocrate ? Détrompez-vous, il n’en est rien ; les Russes n’ont pas pénétré jusqu’à Khiva ; ils ont été arrêtés par les neiges. Dès-lors il est évident que la Russie n’a pas d’ambition, qu’elle ne vise pas à l’empire de l’Asie. Tenter et ne pas réussir, n’est-ce pas un témoignage irréfragable de modération ? La campagne de Moscou n’a-t-elle pas prouvé jusqu’à l’évidence que Napoléon n’était pas un prince insatiable de gloire et de conquêtes ?

Veut-on une autre preuve de la modération, de la bonhomie du cabinet russe ? La voici. Il a spontanément déclaré à lord Palmerston qu’il se trompait sur les vues qu’il supposait à la Russie, et qu’elle était prête à renoncer au traité d’Unkiar-Skelessi, si on voulait le remplacer par un traité commun aux autres puissances. En d’autres termes, la Russie renonce à un traité que l’Europe n’avait pas reconnu, et qui pouvait, en conséquence, l’exposer à une lutte avec l’Angleterre et la France réunies, pour un traité à l’aide duquel lord Palmerston sépare l’Angleterre de la France, se met au service de la Russie, et lui ouvre les portes de l’Orient. C’est encore là pour le noble lord une preuve de la touchante modération du cabinet de Saint-Pétersbourg.

Au surplus, dit-il, que voulons-nous ? maintenir l’intégrité de l’empire ottoman. La France aussi a déclaré que c’était là le principe dirigeant de sa politique. Nous sommes donc d’accord sur le but ; un dissentiment sur les moyens propres à l’atteindre pourrait-il amener une rupture entre les deux nations ? La France ne sait-elle pas que le ministère anglais attache le plus grand prix à l’union intime des deux pays ?

Laissons ces vaines protestations si formellement démenties par les faits. Tout a été dit à ce sujet.

La France veut l’intégrité de l’empire ottoman, c’est vrai ; mais la France ne s’est jamais dissimulé l’état réel, les conditions actuelles de cet empire. Elle n’imagine pas et ne permet à personne de lui faire accroire que la Porte conserve des forces qu’elle a perdues depuis long-temps, une vigueur, une énergie, qu’elle n’a que trop oubliées. L’empire turc, sans être démembré dans le sens légal du mot, a vu quelques-unes de ses provinces se détacher de l’administration générale du sultan et recevoir de la main d’un vassal aussi habile que puissant une organisation particulière et une vie nouvelle. La victoire de Nézib, provoquée par les funestes conseils donnés à la Porte et par la folle agression qui en a été le résultat, a mis le sceau à la séparation de l’Égypte et de la Syrie. La Porte est aussi incapable de reprendre le gouvernement de