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REVUE. — CHRONIQUE.

ces provinces que de le conserver. Ces pays seraient demain abandonnés par Méhémet-Ali, qu’au lieu de rentrer paisiblement sous l’administration du sultan, ils se trouveraient livrés à une effroyable anarchie que l’Europe, froissée dans ses intérêts commerciaux et inquiète de son équilibre politique, ne saurait voir d’un œil indifférent. Les relations des cabinets européens à l’endroit de l’Orient ne tarderaient pas à se compliquer, une intervention armée serait bientôt inévitable, et de là à une guerre générale il n’y a qu’un pas.

Dès-lors il ne reste que deux explications raisonnables à donner de ces mots, l’intégrité de l’empire ottoman ; l’une positive, l’autre négative.

D’un côté (c’est le sens négatif), nulle puissance européenne, qu’elle s’appelle Autriche, Angleterre, France ou Russie, ne doit aspirer à un agrandissement territorial aux dépens de la Turquie. L’empire turc doit rester l’empire des Ottomans. Qu’on y songe ; le jour où l’on croirait sérieusement que cela est impossible, ce jour-là il ne s’agirait plus seulement de remanier le territoire de la Turquie, mais celui de l’Europe. Il ne manque pas en Occident de choses à remettre à leur place naturelle. La France, qu’on a souvent accusée d’ambition et qui donne cependant à l’Europe, depuis vingt-cinq ans, des preuves irrécusables d’une modération bien rare dans l’histoire des grandes nations, la France ne prendra pas l’initiative de ce grand mouvement ; mais elle ne permettra pas que d’autres l’impriment au monde sans qu’il produise toutes ses conséquences, sans que l’équilibre de la balance européenne, troublé par les changemens du bassin oriental, soit rétabli par des changemens proportionnels dans le bassin occidental.

Le sens positif est celui-ci : les provinces séparées de l’administration générale de la Porte ne doivent pas être démembrées de l’empire. Le sultan doit en conserver la suzeraineté. Méhémet-Ali et ses héritiers seront les vassaux de la Porte. L’Égypte et la Syrie seront deux grands fiefs qui ne sortiront pas du cercle de l’empire ottoman. Méhémet-Ali n’a jamais voulu autre chose. Dans les momens les plus critiques, il n’a jamais brisé ses liens avec la Sublime-Porte, il n’a jamais manqué à ce qu’il lui devait d’honneurs et de respects. Aucun pacha ne s’est montré observateur plus scrupuleux des usages et cérémonies de l’empire. À la mort du sultan, à l’avénement du nouvel empereur, à l’occasion d’un mariage, à la publication d’un hatti-scheriff, que sais-je ? toujours Méhémet-Ali a su concilier ses légitimes prétentions avec cette position élevée, mais dépendante, qu’il n’entend pas changer. Ce n’est pas la souveraineté absolue, c’est l’administration, c’est le gouvernement héréditaire de ces provinces qu’il réclame. Il veut ce qui est, ce qui ne pourrait pas cesser d’être, sans plonger ces provinces dans le désordre, sans exposer l’empire à des secousses qu’il est hors d’état de supporter.

La France n’a jamais demandé autre chose que de régulariser ce qui existe, de sanctionner le fait accompli.

L’empire turc conservera son intégrité, et retrouvera, par l’amitié et la bonne administration d’un vassal puissant, une partie des forces qu’il a perdues.