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venus. Sous ce gouvernement, en un mot, la nation a conquis une somme de liberté et de richesses telle que long-temps on a douté qu’elle pût être dépassée. D’où vient cela ? et comment l’aristocratie anglaise s’est-elle distinguée à ce point des autres aristocraties ? Cela vient, je crois, d’abord de ce que l’aristocratie anglaise a toujours été une aristocratie ouverte, à laquelle des hommes nouveaux pouvaient apporter sans cesse un sang rajeuni et des idées contemporaines ; ensuite et surtout de ce que cette aristocratie, tout en se réservant le gouvernement, avait laissé à la nation le droit de manifester son opinion par tous les modes, et d’exprimer sous toutes les formes, même les plus brutales, sa satisfaction ou son mécontentement. Il suivait de là, d’une part, que l’aristocratie était sans cesse avertie des besoins et des intérêts généraux et mise en demeure d’en tenir compte ; de l’autre, que, pour ne pas perdre toute influence morale, elle devait chaque jour, par ses actes et par ses paroles, justifier ses priviléges et légitimer son autorité. Parmi les partis et les hommes qui, au sein de l’aristocratie, se disputaient le pouvoir, il était d’ailleurs inévitable que, par ambition, si ce n’est par conviction, quelques-uns cherchassent un point d’appui dans les sentimens populaires, et prêtassent à ces sentimens une voix passionnée. De cette façon, les classes, exclues du gouvernement ne manquaient jamais, dans le gouvernement même, d’organes et de défenseurs.

Quoi qu’il en soit, il y a deux faits incontestables : l’un que l’aristocratie a, pendant une longue suite d’années, gouverné l’Angleterre ; l’autre, qu’un seul peut-être excepté, il n’est point en Europe de pays plus libre, plus puissant et plus riche. Maintenant, est-il vrai que, depuis la réforme, le rôle de l’aristocratie anglaise soit si bien fini, et le souvenir des services qu’elle a rendus si complètement effacé, que l’opinion publique s’arme de toutes parts contre elle, et qu’elle penche visiblement vers sa ruine ? Est-il vrai en un mot qu’en Angleterre comme ailleurs, le jour de son éternelle rivale soit venu, et que l’œuvre entreprise et manquée par les niveleurs, il y a deux siècles, soit à la veille de s’accomplir ? C’est ce que je veux examiner.

Les révolutions, on le sait, se font de deux manières, par les pouvoirs établis ou contre ces pouvoirs. Ainsi, en 1640 comme en 1789, ce sont des assemblées régulièrement convoquées, élues et réunies qui se mirent à la tête du mouvement et donnèrent l’impulsion. Il convient donc de chercher d’abord si, de la part des pouvoirs légalement établis en Angleterre, rien de semblable est à espérer, ou à craindre. Or, personne assurément ne le croit. Pour commencer