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enfans ; » quand, dans une parodie audacieuse d’une prière chrétienne[1], on les invite à croire en lord John Russel « conçu par un mauvais esprit, né d’une femme qui a été vierge, que torture une mauvaise conscience, qui a crucifié tous les sentimens humains, et que le peuple précipitera en enfer où il restera jusqu’au jugement des vivans et des morts ; » quand, pour prouver en même temps qu’on ne veut pas s’en tenir aux paroles, on engage chaque jour les classes laborieuses à se munir d’armes et à s’exercer en secret ? Est-il bien étonnant qu’après de telles violences les chartistes voient se retirer d’eux tous les hommes paisibles, et que leurs délégués soient forcés de prononcer la dissolution de la convention, en se plaignant amèrement « de la désertion des faux amis du peuple, et de l’apathie d’une portion du peuple même ? » Les chartistes, aujourd’hui, sont partout en déclin, et, pendant leur courte apparition, ils ont contribué à raffermir les vieilles institutions, loin de les ébranler.

Si les institutions religieuses, politiques et civiles de l’Angleterre sont dans ce pays moins impopulaires et moins caduques qu’on ne le croit généralement, est-ce à dire toutefois qu’une longue vie leur soit assurée, et qu’assez fortes pour résister aux attaques directes de leurs ennemis, elles ne puissent succomber dans une de ces catastrophes qui bouleversent le sol ? En d’autres termes, l’état moral et matériel des classes ouvrières n’est-il pas tel qu’il y ait à craindre quelque chose de plus qu’une révolution politique, une révolution sociale ? C’est de toutes les questions la plus obscure, la plus compliquée, la plus difficile. Il ne me paraît pourtant pas impossible, sinon de la résoudre, du moins de l’éclaircir.

Je me hâte d’abord de le dire, je ne suis point de ceux qui maudissent les progrès de l’industrie et qui pensent que chaque pas qu’il fait dans la voie de la science et de la civilisation inflige à l’homme un surcroît de misère et de souffrance. C’est là, selon moi, une pensée et je me refuse absolument à croire qu’en accordant à l’homme d’immenses facultés, Dieu ait voulu que son bonheur fût en raison inverse de sa puissance. Il n’en faut pas moins reconnaître que lorsqu’une invention nouvelle vient changer brusquement les anciennes conditions du travail, le passage d’un état à l’autre ne peut s’opérer sans détresse et sans souffrance. Il n’en faut pas moins reconnaître aussi que la concentration des forces industrielles sur quelques points et la création simultanée de produits que leur abondance peut priver

  1. John’s Bull political catechism.