Je regrette d’employer de pareils mots ; mais c’est là la loi de l’industrie, loi fatale et qu’il ne servirait à rien de dissimuler ou de nier. Veut-on savoir maintenant dans quelles proportions ont lieu les émigrations dont il s’agit ? En 1836, il est arrivé à Liverpool seulement 74,240 Irlandais, en 1837, 45,590, en 1838, 45,470. Le nombre des Irlandais qui résident à Liverpool dépasse d’ailleurs 40,000, à Manchester 60,000, à Glascow 50,000, à Birmingham 25,000, à Leeds 12,000, sans compter ceux qui sont dispersés dans les campagnes voisines. Pense-t-on que ce soit là un élément sans importance, et qui n’exerce pas sur la fixation des salaires une puissante influence ? Si dans les comtés manufacturiers de l’ouest de l’Angleterre le bien-être des classes ouvrières a, depuis quelques années, notablement diminué, c’est à l’Irlande que ces classes en sont surtout redevables, ou, pour mieux dire, à l’Angleterre elle-même, qui s’est étudiée pendant tant de siècles à tenir ce malheureux pays dans la servitude et dans l’abrutissement.
Voici d’ailleurs quelle est en ce moment la situation matérielle des classes ouvrières en Angleterre. J’emprunte les chiffres à un discours remarquable prononcé le 4 février 1840 dans la chambre des communes par M. Slaney.
En 1790, le nombre des ouvriers industriels n’était, au nombre des ouvriers agricoles, que comme 1 est à 2. En 1840, c’est, on le sait, tout le contraire. Dans certains comtés la proportion est même bien plus forte. Ainsi, dans le Warwickshire, il y a 4 ouvriers industriels contre 1 ouvrier agricole, 6 dans l’ouest de l’Yorkshire, 10 dans le Lancashire, 12 dans Middlessex. Et, ceci est digne de remarque, tandis que la population industrielle augmentait ainsi, sa puissance productive était centuplée par les admirables découvertes du dernier demi-siècle. Que des progrès aussi rapides, aussi prodigieux, aient accru notablement la richesse nationale, et même amélioré la condition de certains ouvriers, cela est hors de doute ; mais il est hors de doute aussi qu’il en est résulté de brusques déplacemens d’industrie et des fluctuations qui, plus d’une fois, ont privé subitement des populations entières de travail et de pain. Il en est résulté aussi qu’entassés dans quelques localités les ouvriers n’ont pu s’y établir convenablement et sainement. Ainsi, à Liverpool, dont la population a plus que doublé en trente ans, sur 270,000 habitans, il y en a 40,000 qui vivent jour et nuit dans des caves humides ; à Manchester, sur 200,000 habitans, il y en a 15,000, et la plupart des autres habitations ne valent guère mieux. À Bury, le tiers de la popu-