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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

il a toujours gardé son habit, et son agilité est restée la même. Va-t-il la nuit à un rendez-vous d’amour, et sa maîtresse, après avoir écouté sa sérénade entr’ouvre-t-elle sa jalousie, Arlequin fait toujours le plus plaisamment du monde la culbute en tenant pittoresquement à la main sa chandelle allumée ; Brighella se permet-il avec lui quelque insolence, Arlequin lui donne lestement un soufflet avec le pied, et dans ses momens de contrition, il dit son mea culpa en se frappant la poitrine avec le talon. Pantalon, las d’être volé par ce mauvais garnement de valet, met-il les sbires à ses trousses, Arlequin disparaît inévitablement par le trou du souffleur, et s’échappe en faisant le tour de la salle sur la balustrade des loges. Brighella est toujours son antagoniste et Pantalon sa victime. Comme Brighella, Arlequin a eu des imitateurs et des copistes : les Truffaldins et les Trucagnins sortent de son école, et l’on prétend que lui-même s’est quelquefois caché sous les noms de Gradelin et de Mezzelin, conservant, comme Brighella-Scapin, son caractère original sous un nom d’emprunt. Pantalon et le Docteur, personnages plus graves, tiennent à leur nom, et ne l’ont jamais quitté. Le reproche le plus sérieux qu’on puisse leur faire, c’est d’avoir quelquefois abandonné le masque ; c’est moins à eux qu’on doit s’en prendre, il est vrai, qu’à Goldoni, le mobile et impuissant novateur qui, plus d’une fois, les a si étourdiment compromis ; mais aussi pourquoi lui faisaient-ils tant d’agaceries ?

Un jour, par exemple, un gros garçon d’humeur joviale frappe à la porte du poète, devenu momentanément avocat. — Qui êtes-vous ? — Je suis Darbes. — Comment, M. Darbes, le fils du directeur de la poste du Frioul, qu’on a cru perdu ? — Lui-même. — Et que faites vous maintenant ? — Darbes se lève, et frappant du plat de la main sur son énorme ventre : — Monsieur Goldoni, lui dit-il d’un ton plein de fierté plaisante, je suis comédien, et sans vanité, je puis dire que, si Garelli est mort, Darbes l’a remplacé ; mais, à vous parler franchement, si je fais mon éloge à un auteur, c’est que j’ai besoin de lui. — Vous avez besoin de moi ? — Oui, monsieur Goldoni, et je viens vous demander une comédie. J’ai promis à mes camarades une pièce de Goldoni, je l’aurai et je gagnerai ma gageure. — J’ai des occupations, je ne puis… — Qu’à cela ne tienne, faites ma pièce quand vous voudrez. — Et tout en causant, Darbes s’empare de la tabatière de Goldoni, prend une prise de tabac, laisse tomber dans la boîte quelques pièces d’or, et la rejette sur la table, accompagnant son action de lazzi qui la font comprendre. Goldoni ouvre la boîte et ne veut pas se prêter à la plaisanterie. — Ne vous fâchez pas, lui dit Darbes, c’est