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sièretés de Brighella et les lourdes et grotesques tirades du moraliste Pantalon ! Le charmant patois vénitien venait, il est vrai, en aide aux auteurs et aux acteurs ; c’est le plus doux et le plus gracieux des dialectes de l’Italie : Goldoni, qui l’employa de préférence à tout autre, en convient dans ses Mémoires. — La prononciation, dit-il, en est claire, délicate et facile ; les mots sont expressifs, et pour nommer chaque chose, les termes abondent et semblent composer à souhait des phrases spirituelles et harmonieuses. — L’amour du plaisir, l’insouciance aimable et la douce gaieté formaient dans le dernier siècle le fonds du caractère vénitien ; il ne faut donc pas s’étonner si le langage du peuple se prête si admirablement à la plaisanterie. Goldoni n’est jamais plus vraiment, plus franchement comique, que lorsqu’il peint naïvement les mœurs vénitiennes et qu’il se sert du langage national. S’il a quelque chose du laisser-aller du génie, c’est surtout lorsqu’il se renferme dans cette précieuse spécialité ; il cesse d’être original et tombe souvent au-dessous du médiocre, quand il emploie sa merveilleuse facilité à combiner de longs et pénibles imbroglios, ou de lourdes comédies de caractère. Sans doute, pour que l’inspiration vienne, il faut s’avancer à sa rencontre ; mais si on la sollicite à toute heure, elle s’éloigne, devient ombrageuse et finit par délaisser les importuns sans retour.

Goldoni a fait école en Italie, et c’est surtout sa mauvaise manière qu’on a copiée. La plupart de ces misérables faiseurs, ne pouvant peindre la société, qu’ils n’ont jamais vue, s’attaquent à des travers qu’ils imaginent, ou peignent des mœurs si basses, que l’on est plutôt porté à prendre en pitié leurs originaux qu’à s’égayer à leurs dépens. Un poète, pour eux, est toujours un pauvre diable un peu timbré, qui ne fait jamais une visite à un ami sans lui emprunter un écu. Un négociant est un coquin qui vend à faux poids, et qui se vante de sa friponnerie comme d’une adroite spéculation. Les juges acceptent de toutes mains, et donnent gain de cause à celui dont la bourse est la mieux garnie ; les avocats plaident à tant l’heure, et sont toujours prêts à soutenir dans la même séance le pour et le contre. Les médecins parlent encore le latin de Molière, tuent effrontément leurs malades, ou, s’ils les laissent vivre, c’est pour subsister eux-mêmes aux dépens de la maladie. Les militaires sont toujours insolens et n’ont de bravoure qu’en paroles ; comme le matamore de Corneille, ils disent au rival qui marche sur leurs brisées et courtise leur maîtresse :