Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/719

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
715
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

Je te donne le choix de trois ou quatre morts :
Je vais d’un coup de poing te briser comme verre,
Ou t’enfoncer tout vif au centre de la terre,
Ou te fendre en dix parts d’un seul coup de revers,
Ou te jeter si haut au-dessus des éclairs,
Que tu sois dévoré des feux élémentaires.
Choisis donc promptement, et pense à tes affaires.

Mais si ce rival, au lieu de tourner les talons, leur répond résolument :

Pas tant de bruit,
J’ai déjà massacré dix hommes cette nuit[1].

Ils se soucient peu de compléter la douzaine, battent prudemment en retraite, et au besoin font même les honneurs de leur maîtresse à ce rival qui leur tient tête.

Ce qui manque à ces pauvres auteurs, c’est moins le savoir-faire et la verve que l’esprit et la connaissance du monde. C’est là ce qui les rend si grossiers et si faux, et ce qui, pour nous autres Français du moins, détruit en grande partie l’intérêt de leurs ouvrages, de ceux surtout dans lesquels ils se proposent de peindre la société. Mais revenons aux quatre masques du théâtre.

Ces personnages ont perdu un peu de leur vogue d’autrefois. Le Docteur est relégué à Bologne ; et, dans toute la Lombardie, à Bergame comme à Milan, Meneghino a remplacé Arlequin et Brighella. Meneghino est l’enfant gâté des Milanais, le héros du théâtre de la Stadera ; son talent consiste surtout dans une espèce de gaucherie adroite, dans la façon plaisante avec laquelle il se heurte contre les murailles et trébuche contre les saillies du parquet sans jamais tomber ni sans rien perdre de son sang-froid. Enfin Pantalon lui-même est accueilli à Venise avec indifférence, je dirais presque avec froideur : le bonhomme, ainsi que ses valets, ne défraie plus que le répertoire des théâtres du troisième ordre.

Arlequin cependant est toujours ce maladroit plein de souplesse, ce malicieux imbécille que nous connaissons. Si, par exemple, il veut vendre sa maison, il dit à l’homme avec lequel il est en marché, en tirant un moellon de sa poche : Comme je n’ai pas voulu vous déranger pour si peu de chose, je vous ai apporté un échantillon de la marchandise. — Un jour il arrive avec son casaquin tout en lambeaux,

  1. Corneille, l’Illusion comique, acte III, scène X.