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Il a donc fallu renoncer à ce projet de rusticité primitive et s’adresser à l’art, qui est en possession de faire les monumens funéraires, c’est-à-dire à la sculpture.

Les projets sont arrivés en foule : quelques-uns ont proposé tout simplement un sarcophage antique soutenu par quatre aigles, ou bien encore par quatre lions.

Rien de plus froid, comme on sait, que ces animaux transformés en portefaix. C’est même un spectacle choquant que des oiseaux, quelque forts qu’ils soient, supportant une masse de granit ou de porphyre ; la force des aigles est dans leurs serres et non dans leurs épaules. Et, quant aux lions, un sculpteur doit y regarder à deux fois avant d’avoir affaire à ce roi des animaux. Le lion classique, le lion à tête frisée, est presque toujours si raide et si glacial ! Et quant au lion réel, tel qu’on le fait aujourd’hui, c’est une espèce de sanglier ou de porc-épic dont les formes sont par trop heurtées pour accompagner des lignes monumentales. Je sais bien qu’on cite en faveur des lions ces deux admirables gardiens du tombeau de Clément XIII, et ce vieux serviteur de la monarchie sculpté dans le rocher de Lucerne. Mais d’abord ces lions-là ne portent rien sur leur dos, puis ils sortent du ciseau de Canova et de Thorwaldsen ; enfin, ils sont tellement connus, que, sous peine de tomber dans la misère du plagiat, il serait presque impossible de les imiter avec bonheur.

Quant à l’urne antique pure et simple, il ne saurait en être question. Ce ne serait vraiment pas la peine d’avoir fait faire un si long voyage à ces cendres impériales pour les traiter comme celles du premier Parisien venu, qui, moyennant vingt-cinq louis, se couche au Père-Lachaise dans l’urne des Scipions.

Le sarcophage antique, avec ou sans supports, étant mis de côté, reste ce beau motif constamment en usage pendant les quatre ou cinq derniers siècles du moyen-âge, la statue couchée sur le tombeau. Je conçois cette noble figure, ce front puissant, ce profil héroïque, dessinés par la main ferme de M. Ingres, exécutés par un ciseau habile à travailler le marbre, celui de M. Pradier, par exemple ; je vois sur un socle de forme simple et taillé à grands traits la pourpre du César retombant comme un drap mortuaire, largement, noblement, sans cassures inutiles, sans plis brisés ou tourmentés. Cet ensemble peut être beau, solennel ; mais prenons-y garde, il faut à Napoléon autre chose que le monument d’un archevêque ou d’un abbé. Je sais bien que vous ne le représenterez pas les mains jointes ; il saisira, tout endormi qu’il est, et sa main de justice et son épée. Cela ne suffit