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LE TOMBEAU DE NAPOLÉON.

pas. Quoi que vous fassiez, cette statue couchée ne peut être qu’accessoire du monument ; elle ne peut pas être le tombeau tout entier. C’est trop peu de chose aussi bien pour la grandeur de l’édifice que pour la grandeur du personnage. Au milieu de cette immense rotonde des Invalides, elle se perdra dans l’espace. N’espérez pas la faire grandir, n’essayez pas de lui donner des dimensions proportionnées à son importance ; une règle impérieuse s’y oppose. Les statues couchées ne peuvent jamais être colossales. Comment les verrait-on ? Le socle devant nécessairement grandir en proportion de la statue, le point de vue manquerait : il faudrait monter sur des échelles pour être à leur niveau.

Ainsi tous les types simples, vrais, naturels, ceux qui furent consacrés aux époques de goût pur et d’inspiration naïve, se trouvent ici hors de cause : faudra-t-il donc recourir aux types raffinés, aux formes pittoresques, aux scènes dramatiques, à toutes ces inventions d’une sculpture expirante et d’une ingénieuse barbarie ? Ferons-nous de la tombe un théâtre, y ferons-nous monter le Temps son horloge et sa faux à la main, ou bien la Mort sous forme de squelette disputant sa proie à la patrie en pleurs ? Évoquerons-nous cet éternel cortége d’allégories demi-chrétiennes, demi-païennes, et les sépulcres entr’ouverts, et les cercueils brisés par la gloire, par la reconnaissance, par l’amitié, et tant d’autres métaphores traduites en marbre, dont le chevalier Bernini, je crois, nous gratifia le premier, et dont on a fait chez nous un si prodigieux usage dans ces temps où tous les arts, débordés et s’envahissant les uns les autres, se livraient aux plus étranges saturnales ?

Non, personne, que je sache, ne pense à ces aberrations ; on peut bien, dans nos salons, ressusciter les magots, exhumer les caprices et jusqu’aux délires de la mode ; mais faire à Napoléon un tombeau rococo, je défie que personne en ait eu la pensée.

Et sans même aller si loin, sans tomber dans les derniers écarts du goût, si nous passons en revue ces tombeaux composés avec tant d’art, ces catafalques si élégamment ajustés qui font la gloire et l’ornement des principales églises de Florence, de Naples et surtout de Venise, nous ne trouverons encore rien dont nous puissions profiter. Ce ne sont ni ces rideaux, ni ces draperies, ni ces baldaquins, ni ces fines colonnettes, ni ces délicats bas-reliefs qui pourront décorer la tombe de Napoléon. Tout cela devient mesquin et presque puéril quand on s’en sert pour une telle fin.

Il est donc parfaitement inutile de consulter les types connus, les