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de l’autre. S’il y a dans le parti modéré espagnol quelque puissance, quelque vie, quelque chance d’avenir, voici le moment venu de se montrer et de prendre fermement les rênes. L’occasion est décisive.

Craindrait-on quelque résistance dangereuse de la part des municipalités ? Mais cette résistance doit être bien ébranlée par ce qui est arrivé à la municipalité de Barcelone. Dans la première ivresse du succès, l’ayuntamiento de Madrid avait délibéré sur la réception qui serait faite à Espartero, quand il rentrerait dans la capitale traînant après lui la reine asservie. Il avait été décidé qu’on prendrait pour modèle ce qui eut lieu pour l’entrée de Charles-Quint emmenant François Ier prisonnier. L’allusion était claire et facile à saisir ; mais quand on a su que la reine arrivait seule, et que Diego Léon et O’Donnell remplaceraient Espartero, il a bien fallu changer de programme. Il est arrivé en même temps que le capitaine-général de Madrid a défendu à l’ayuntamiento d’agiter la population par des manifestations publiques, et il paraît que l’ayuntamiento s’est montré disposé à se soumettre.

Toute la question est dans l’armée, dans la force publique qui doit faire respecter l’autorité. Or il est certain que, dans les chefs de cette armée, il en est plusieurs, et des plus braves, des plus aimés du soldat, qui brûlent de prouver leur fidélité à leur devoir. Ce serait une grande faute pour les modérés que de songer à licencier une partie de l’armée. Ce que les officiers craignent surtout, c’est la perte de leur grade et de leur solde ; c’est en les effrayant sur leur avenir que les fauteurs de désordre peuvent les entraîner. Que le gouvernement déclare qu’il conservera l’armée sur son pied actuel, et l’armée suivra le drapeau. Quiconque porte une épée est naturellement ami de l’ordre et attaché à son serment. Il faut que le besoin parle bien haut pour que le soldat n’entende pas avant tout la voix de l’honneur.

Et qu’on ne dise pas que l’entretien de l’armée telle qu’elle est coûtera trop cher. Ce qui établit dans un pays le règne des lois ne saurait être cher. Si la force publique est insuffisante, si des émeutes périodiques continuent à troubler les villes, si des bandes impunies parcourent les campagnes, le recouvrement régulier des impôts demeurera impossible, et l’Espagne s’enfoncera de plus en plus dans le gouffre de la banqueroute. Si au contraire l’armée est assez nombreuse pour garantir la sécurité sur tous les points du territoire, si le gouvernement est durable et obéi, si les désordres sont réprimés, si les propriétés sont protégées, alors le sol admirable de la Péninsule produira de nouveau des trésors, et l’agriculture, l’industrie, le com-