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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/813

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REVUE. — CHRONIQUE.

traires. Or, lorsqu’il n’y a pas de résistance, la force d’un sentiment ne peut se faire connaître : il faut la lutte pour que la passion se développe.

Les habitans des colonies paraissent s’être trompés sur le véritable caractère de la situation à leur égard. Ils ont pris la stagnation de l’opinion pour un gage de sécurité : c’est un danger pour leurs intérêts, mais ce n’est pas un signe favorable au maintien de l’esclavage.

De ce qu’il n’existe pas en France une propagande abolitionniste puissamment organisée, pénétrant la société par tous les pores, envoyant au loin ses journaux et ses missionnaires, et dispensant à pleines mains les dons de la charité, on a eu grand tort de penser que la nécessité de faire l’émancipation serait facilement éludée. Si l’esclavage n’a pas été attaqué, c’est qu’il n’est pas défendu. Quelques hommes d’état sérieux, plusieurs membres des deux chambres, se sont chargés du soin de conduire cette mesure : l’opinion s’en est reposée sur eux. Quand il en a été temps, ils ont agi sur le gouvernement, et le gouvernement a pris un parti. Quand il en sera temps, les deux chambres voteront la mesure, et sans discussion. Il n’y aura de tiédeur que pour l’indemnité : c’est là le danger que nous signalions tout à l’heure dans l’intérêt des colonies.

Les membres de la commission que le gouvernement vient d’instituer sont heureusement en position de parer à ce danger. Par leur consistance dans les deux chambres, par leur volonté bien arrêtée et par l’esprit de justice qui les anime, ils répondent aux légitimes exigences de tous les intérêts. En ce qui regarde le principe, ils sont les sûrs garans des droits du travailleur et des titres éternels de la liberté humaine que l’oppression n’a pu prescrire. Pour ce qui touche l’intérêt des anciens planteurs qui ont fondé, vaille que vaille, la civilisation et l’industrie dans ces contrées, ils savent qu’une loyale indemnité leur est due, et qu’il faut aviser, en outre, à ce que les institutions anciennes soient remplacées par une constitution meilleure du travail. Quant à l’intérêt qui prime tous les autres, le véritable intérêt public de la France, la régénération de notre puissance coloniale et maritime, ce sera, n’en doutons pas, la préoccupation dominante de tous les membres de la commission.

Les termes même de l’ordonnance qui a créé la commission permettent que la question soit posée dans toute son étendue. La commission doit se proposer l’examen, et par suite la réforme de l’ensemble des institutions coloniales. Elle a compris sans doute qu’il ne serait ni juste, ni possible de changer la condition d’une classe, sans pourvoir aux modifications qui devraient s’introduire dans les autres parties de l’état social.

Pour que l’esclavage existe encore au sein de populations régies par la France, il faut nécessairement que ces populations soient demeurées à peu près étrangères au mouvement des idées, des intérêts et des faits, qui s’est opéré dans la métropole depuis un demi-siècle. C’est, en effet, ce qui a eu lieu. La révolution de 1789 a bien pénétré dans nos colonies, puisqu’elle nous a fait perdre celle qui était alors la plus florissante, Saint-Domingue. Le commerce de la traite et l’esclavage ont même été abolis de fait par la France, à