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un moment où l’Angleterre y songeait à peine. Ainsi, le principe qui a provoqué dans le monde l’abolition de la traite et de l’esclavage est sorti de la France. Mais la révolution de 1789 avait trop à faire chez elle, et même elle a eu trop grand’peine à assurer quelques résultats décisifs, pour que son mouvement outre-mer n’ait pas été fort irrégulier d’abord, et ensuite sans effet. L’esclavage dut être rétabli dans nos colonies, après une fausse tentative ; et le noir, qu’aucune mesure de prévoyance n’avait préparé à la civilisation, fut ramené au travail par la contrainte. Le consulat remit en vigueur à peu près toutes les anciennes institutions coloniales. Elles se consolidèrent de nouveau sous le régime de la conquête anglaise et pendant la restauration. En 1828, ont commencé des réformes partielles, mal conçues et mal exécutées, dirigées par une administration qui n’avait conscience ni du point de départ ni du point d’arrivée, et qui, ne sachant rien vouloir par elle-même, se défendait par la force d’inertie, et finissait toujours par céder. Ces concessions n’ont jamais abouti qu’à un système d’atermoiement dont l’effet a été funeste aux institutions anciennes, sans profit pour les nouvelles. Un fait donnera la mesure de l’imprévoyance de cette administration : dans un Mémoire sur le commerce maritime et colonial de la France, écrit, dit-on, par un ancien délégué de la Guadeloupe, M. de Vaublanc, et qui a été publié en 1832 dans les Annales maritimes, il n’est pas même fait mention de l’existence du sucre de betteraves !

À part la question des sucres, qui est maintenant mieux comprise et qui vient de recevoir une solution provisoirement acceptable, la commission a trouvé les choses dans cet état. Sur la question de l’esclavage, elle avait devant elle deux actes récens, émanés de la chambre des députés : le rapport de M. de Rémusat, sur la proposition de M. Passy, avec les délibérations des conseils coloniaux, qui, après avoir été consultés par le ministre de la marine, ont refusé d’adhérer aux réformes partielles indiquées dans le travail de la première commission ; le rapport de M. de Tocqueville sur la proposition de M. Passy, reprise par M. de Tracy. Les conclusions de ce dernier rapport, fondées sur ce principe éminemment rationnel, que le noir ne peut pas être préparé à la liberté dans l’esclavage, aboutissent à une émancipation d’ensemble à la charge de l’état.

Si l’on avait pu croire un moment que la commission n’apporterait à l’œuvre qui lui est confiée ni décision ni énergie, ses premiers actes sont faits pour dissiper toute illusion. D’ailleurs le nom des membres composant la commission était déjà un commentaire significatif du préambule un peu vague de l’ordonnance.

M. le duc de Broglie est l’homme de cette question, depuis surtout qu’elle a pris dans la pensée du gouvernement le caractère général et complet qui lui est désormais acquis. M. le duc de Broglie y apporte sans doute un sentiment très vif en faveur des noirs, et cette religieuse ardeur contre toutes les oppressions, qui est depuis long-temps dans sa famille. Mais c’est avant tout la prévoyance de l’homme d’état qui lui donne hâte d’agir ; car, aux yeux de l’homme