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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

personnalité sordide et de grossière fatuité[1], que j’ose à peine transcrire, expriment-ils (solennité et perruque à part) le fond exact de sa nature ? Est-ce trop peu encore de qualifier à ce taux son égoïsme en bonnes fortunes et en toutes choses, faut-il aller avec lui jusqu’aux lâches méchancetés[2], et le bélâtre vise-t-il en de certains momens au Néron[3] ? M. Sue a évidemment compromis son paradoxe en le poussant aux extrêmes. Saint-Simon de son temps, Lemontey du nôtre, ont beaucoup dit sur le grand roi ; j’en pense volontiers tout le mal qu’ils articulent, à l’endroit de l’égoïsme qui chez lui était monstrueux et que soixante années d’idolâtrie cultivèrent. Mais est-ce une raison de méconnaître ses qualités et sa grandeur, un sens naturel et droit, un haut sentiment d’honneur et de majesté souveraine, l’ordonnance de son règne si bien comprise, le discernement des hommes, de ceux qui ornent et de ceux qui servent, la part faite à chacun des principaux et assez librement laissée, l’art du maître, le caractère royal enfin, indélébile chez lui, et l’immuabilité dans l’infortune ? Que Louis XIV vieillissant se donnât des indigestions de petits pois ; qu’au temps de sa jeunesse il se montrât un sultan jaloux et sans partage ; qu’il fût dur avec ses maîtresses et avec les princesses de sa famille ; qu’il fît courir en carrosse à sa suite avec toutes sortes de cahottemens Mme de Montespan ou la duchesse de Bourgogne enceintes, au risque de les blesser : ce sont là des inhumanités de roi ou des infirmités d’homme. Mais Napoléon, par exemple, n’était-il donc pas dur aussi et inexorable d’étiquette avec les femmes de sa cour ? Après le désastre de Russie, ne fallait-il pas que toutes les dames du palais fussent sous les armes en habits de fête ? Ne fallait-il pas que les quadrilles du château se reformassent au complet malgré les pieds gelés des hommes et les larmes dans les yeux des femmes et des mères ? Voilà qui est atroce assurément ; mais qui ferait un portrait de Napoléon sur ce pied-là ne se montrerait-il pas à son tour souverainement injuste ? Pareille méprise est arrivée à M. Sue. Il n’a vu, il n’a voulu voir qu’un côté, le petit et le vilain, d’un grand règne ; il a parlé de Louis XIV en opprimé presque, en homme lésé ; il s’est mis passionnément de la cabale des gens d’esprit et des libertins contre le grand roi ; il a fait cause commune avec Vardes, Bussy, Lauzun, Rohan, les Vendôme, avec tous ceux qui regrettaient ou qui appelaient la précédente ou la future régence ; durant une oraison funèbre

  1. I, 122.
  2. I, 219.
  3. Tome II, page 470, épigraphe.